Je m’appelle Méïsse

Avertissement au lecteur/auditeur

Ce texte ne dit certainement pas que les femmes et les hommes sont exactement pareils, il ne dit pas non plus que femmes et hommes devraient être pareils. Il ne dit pas que l’on ne doit pas voir les différences de chacun (sexe, âge, couleur de peau, forme, niveau social ou toute autre différence). Ce texte dit qu’en aucun cas on ne devrait faire de ces différences une échelle de valeur.

Ce texte parle du phénomène de répression de la vitalité, chez la femme comme chez l’homme, à travers l’empêchement d’être soi-même avant d’être genré, et cela dès la prime enfance ; rendant ainsi filles et garçons victimes du culte du genre, cela les prive de leur intégrité, les formant à se conformer à un genre avant tout autre chose, cela les éloigne de leur nature profonde d’être humain, qui s’occupe de la vie avant le genre ou quoi que ce soit d’autre.

Estelle Soavi

1.

Je m’appelle Méïsse, je suis une femme, on me juge en mesurant mon physique et mon quotient intellectuel, on m’ordonne de couvrir mon corps ou de me déshabiller. On attend de moi que je me comporte et fasse ce que l’on attend de moi. On me viole ou on me met en cage, on me bat ou on m’achète en m’offrant des parures. Quand on m’aime passionnément, on devient fou et on est prêt à tuer. On me qualifie de victime ou de manipulatrice, de bonne femme ou de salope. Je suis oppressée, opprimée, que je subisse les assauts sans compensations ou que je les programme afin d’obtenir ce que je veux en échange. Et le pire de tout cela, est que quand je donne naissance à une fille (l’ayant voulu ou non), je trouve encore le moyen de lui faire passer ce message ou de laisser d’autres lui faire passer, sans intervenir : tu es une femme avant d’être un individu. Tu n’es pas un individu, tu es une femme. Tout ce qui est décrit ci-avant est ce qui t’attend, ou pire, c’est ce qui EST, fatalement. C’est ainsi pour toi comme pour toutes les autres.

 

2.

Je m’appelle Dary, je suis un homme, on me juge à la grosseur de ma bite et de mon ego, on surestime mes capacités intellectuelles, et on attend de moi que j’ai un bon rendement financier.

On m’a appris qu’être un homme c’est être un baiseur infaillible, c’est avoir l’ascendant sur les gens et les choses – surtout quand les gens sont considérés comme des choses c’est plus facile – c’est acquérir par le mérite ou par la force ou les deux à la fois, tous ce qui est possible d’acquérir et même plus encore et encore plus. C’est la démesure, la capacité à détruire, à réduire les autres à un rôle de subordination subi ou choisi, c’est être par la force car sinon en tant qu’homme on n’existe pas.

 

3.

Je m’appelle Méïsse, je suis une femme, on me juge en mesurant mon physique et mon quotient intellectuel, et on en parle comme des caractéristiques techniques d’une voiture.

On veut me libérer, car inévitablement les mœurs évoluent et il devient mal vu de ne pas le vouloir. On veut me libérer, signe évident de ma soi-disant servitude.

Mais une fois libérée, avec les mêmes principes comme règles que ceux de la prison, cela ne donne pas la liberté. Cela donne simplement une autre forme de conditionnement, une autre forme d’allégeance. La même chose d’une autre façon, les mêmes ingrédients mis dans un autre ordre et le gâteau apparaît avec une nouvelle présentation.

 

4.

Je m’appelle Ked, je suis un homme, on me juge à ma force physique, à la taille de ma bite et à mon rendement financier.

On veut que je sois un tyran ou un grand seigneur, violent ou gentleman, on me dit libre dans un monde dirigé par les hommes, on me pousse à être violent, physiquement et psychiquement, et on m’enferme quand je commets des crimes, sauf si c’est moi qui dirige le monde et dans ce cas, c’est moi qui enferme les autres, même quand ils n’en n’ont pas commis.

 

5.

On veut me rendre heureuse, me faire plaisir, me combler à tout point de vue me dit-on.

Cela n’est que le reflet de l’angoisse masculine d’être un « bon amant », tellement on lui a rabâché par des paroles, des images et pire, des sous-entendus, qu’il devait être un « homme », et qu’un « homme » ne pleure pas, ne fait pas d’erreur, n’hésite pas, n’a pas peur, et « comble » sa femme, sa maîtresse et au passage toute la gent féminine (qui bien sûr, de son côté, simule de monter au septième ciel pour exciter son amant, sembler une femme parfaite ou encore pour qu’on lui fiche la paix).

Tout cela fait autant de dégâts chez l’homme que chez la femme, donc en premier lieu chez l’enfant qui se prépare à être un homme ou une femme. Tout en l’embrigadant dans le culte du genre, on lui fait oublier qu’il est un individu avant d’être quoi que ce soit d’autre. On préfère lui infiltrer dans son mental, à coups de bâton ou de cadeaux, qu’il est surtout quoi que ce soit d’autre mais pas un individu.

 

6.

On me dit autorité gagnante de ce monde par rapport aux femmes ainsi qu’aux enfants et aux hommes dit « faibles ».

On me dit fort et viril si je sais m’imposer, montrer ma force, vaincre, abuser, diriger.

On me dit faible et « efféminé » si je suis sensible, si je laisse voir ma sensibilité, et laisse vivre ma douceur, si j’écoute les autres et m’adapte à eux parfois, s’il m’arrive de suivre ce qu’ils proposent, si je suis patient.

On me dit qu’un homme c’est un homme, qu’il est homme avant d’être un individu, et qu’être un homme c’est être viril, et qu’être viril, en gros, c’est écraser les autres pour ne pas être écrasé.

7.

On veut nous libérer mais on nous enferme dans des images, des attitudes, des normes et des critères, et par des pressions on nous amène insidieusement à préférer y correspondre, ou à se sentir obligée d’y correspondre.

Mais on est libre pourtant ?

Ceux qui nous poussent à y correspondre : les autres, le contexte, la société (dont nous faisons partie), sont eux-mêmes poussés par la pression de cette même société (dont ils font partie) à nous faire sentir l’obligation de nous y conformer…

Mais on est libre pourtant ? Et les autres aussi ?

8.

Acquérir. Conquérir. Coloniser. Imposer. Contrôler. Abuser. Sauver. Ordonner. Diriger. Baiser.

Tous ces signes de « virilité », cachent une immense lâcheté due certainement à un énorme sentiment d’insécurité et d’incapacité à être par essence et qui crée le besoin d’une surenchère de preuves de notre existence à travers des artifices qui ne font en réalité que démontrer notre fragilité, notre désarroi et notre incapacité à être complètement. Au lieu d’être, nous faisons semblant d’être en paradant, en donnant l’image d’un être fier et fort, dans l’espoir qu’à travers le regard des autres sur ce mensonge entretenu collectivement, nous trouverons notre salut : que ce manque perpétuel que nous traînons soit comblé, cette frustration latente qui nous colle à la peau disparaisse, ce manque d’assurance ancré en nous s’envole, et que nous soyons enfin un individu avant d’être un homme, que nous soyons un être complet, entier, libre.

Mais nous ne pouvons trouver notre salut à travers les chemins qui nous l’ont dérobé.

9.

Mais s’agit-il là de fonctionnement, de conditionnement, de culture, de mœurs, de règles, de croyance, d’habitudes ou de liberté ?

Il ne s’agit certainement pas de liberté.

La liberté, on ne peut nous la donner, on ne peut nous l’enlever, on ne peut finalement pas la nommer. On peut simplement sans cesse nous mettre des bâtons dans les roues, nous violenter moralement et physiquement, mais on ne peut toucher la liberté, la liberté c’est l’expression de la vie, c’est la vie. À chaque instant de notre vie, on est libre, mais avec un plus ou moins grand nombre de bâtons dans les roues.

On nous menace avec un flingue, on est libre d’accepter, de refuser et de mourir, de se jeter sur l’adversaire ou de courir. Plus la contrainte est forte, plus la liberté est exacerbée et s’exprime avec force ou ne s’exprime plus du tout. Plus la contrainte est faible, plus on croit avoir d’avantage de liberté, et la plupart du temps on n’en fait rien, ce qui, après tout, est une utilisation de notre liberté. Mais on ne peut pas avoir plus ou moins de liberté : on a plus ou moins de contraintes à son expression.

 

10.

Ceux-là même qui dirigent la société, même s’ils ne sont pas excusables, en sont aussi les victimes, au sens où, s’ils sont devenus tyrans, c’est qu’ils ont été pervertis enfants par cette même société et par les hommes et les femmes qui la constituent et qui les ont éduqués.

S’ils étaient « heureux », s’ils sentaient leur liberté, il ne pourraient alors pas prendre part au désastre organisé qu’est notre société au sein de ce monde sordide où seules quelques merveilles éclosent encore dans cette vaste et triste étendue incompréhensible.

11.

On nous transforme en des êtres incomplets.

Souffrant alors de manques quasi impossibles à combler.

Privés de notre unité, on ne nous laisse que quelques aspects de notre être, appelés « masculinité » et « féminité », aspects qu’on nous pousse à exacerber, et qui sont censés prendre toute la place mais qui n’arrivent jamais à combler les manques dont nous souffrons.

Ainsi se crée un éternel combat vers la totalité, inatteignable par les chemins proposés, dans lesquels on nous a collés et dont on nous surveille de ne pas sortir, ce qui nous serait de toute manière difficile (mais pas impossible), et cet éternel combat, perdu d’avance dans ces conditions, nous maintient dans une frustration constante, apportant ainsi de l’eau au moulin du désespoir installé.

12.

Je m’appelle Méïsse, je suis une femme, on me juge en mesurant mon physique et mon quotient intellectuel, on m’ordonne de couvrir mon corps ou de me déshabiller. On attend de moi que je me comporte et fasse ce que l’on attend de moi. On me viole ou on me met en cage, on me bat ou on m’achète en m’offrant des parures. Quand on m’aime passionnément, on devient fou et on est prêt à tuer. On me qualifie de victime ou de manipulatrice, de bonne femme ou de salope. Je suis oppressée, opprimée, que je subisse les assauts sans compensations ou que je les programme afin d’obtenir ce que je veux en échange. Et le pire de tout cela, est que quand je donne naissance à une fille (l’ayant voulu ou non), je trouve encore le moyen de lui faire passer ce message ou de laisser d’autres lui faire passer, sans intervenir : tu es une femme avant d’être un individu. Tu n’es pas un individu, tu es une femme. Tout ce qui est décrit ci-avant est ce qui t’attend, ou pire, c’est ce qui EST, fatalement. C’est ainsi pour toi comme pour toutes les autres.

13.

Je m’appelle Ked, je suis un homme, on me juge à ma force physique, à la taille de ma bite et à mon rendement financier.

On veut que je sois un tyran ou un grand seigneur, violent ou gentleman, on me dit libre dans un monde dirigé par les hommes, on me pousse à être violent, physiquement et psychiquement, et on m’enferme quand je commets des crimes, sauf si c’est moi qui dirige le monde et dans ce cas, c’est moi qui enferme les autres, même quand ils n’en n’ont pas commis.

14.

Si la femme a très tôt appris qu’elle doit exister en tant que chose ou objet, qu’elle est subordonnée et inférieure – et que dès le plus jeune âge elle s’y prépare et s’y plie, bien orientée qu’elle a été consciemment et inconsciemment par la société et les gens qui la composent et la décomposent – elle se sait pourtant, quelque part au fond d’elle, plus forte que ce que l’on prétend qu’elle est, plus intelligente et plus capable que ce que l’on veut qu’elle soit dans la société, elle a l’instinct et la conscience que si on la veut réduire à un rôle de subordination, c’est très certainement parce qu’elle est autre chose qu’un objet et que si cet « autre chose » se réveille et (re)prend sa place, le monde tel qu’il est construit est en péril (péril de se sauver peut-être ? Mais en péril.). Ainsi, malgré les maintes souffrances qu’elle subit, son conditionnement cruel et tous les abus commis sur elle, il y a la pointe de l’iceberg qui dépasse comme signe et preuve irréfutable de ses véritables qualités et capacités, auxquelles elle peut avoir accès.

Tandis que l’homme, tout « favorisé » qu’il est par la société telle qu’elle est, par le monde tel qu’il est, semble être véritablement tel que la société et le monde le décrivent, semble avoir déjà tout ce dont il a besoin et semble ne rien avoir à regretter de cette construction-là, alors qu’en réalité il en est, tout aussi bien que la femme et même plus encore peut-être, le victime. Victime d’en être le tyran. Victime d’en être le représentant. Victime qu’on lui ait volé sa totalité pour l’enfermer dans un rôle qui le réduit et l’éloigne de sa nature profonde. Victime qu’en tant que tyran, il soit encore plus aveuglé que la femme sur la nature profonde des êtres et de la vie. Victime qu’en tant que tyran, il ne ressente pas ou plus le besoin de se libérer, étant installé sur le trône depuis des lustres. Personne ne le plaint car il tient dans ses mains le fouet qui fait s’abattre sur les autres leurs souffrances et leurs misères. Qu’on lui ait mis dès l’enfance le fouet dans les mains en lui faisant croire que c’était sa destinée, qu’on lui ait assuré que cela était normal pour lui de fouetter les autres car « il en est ainsi », qu’on lui ait inculqué l’idée que s’il perdait le fouet il allait recevoir les coups car il n’y a pas d’alternatives, qu’on lui ait vendu son âme pour une soi-disant réussite heureuse ou malheureuse, tout cela ne fait-il pas qu’on l’ait rendu victime irréfutable de cette société, de ce monde ? Victime installée sur le trône de la misère humaine, victime d’être l’organisateur de la perpétuation du désastre du monde tel qu’il est. Bien sûr avec l’aide perverse de certaines femmes.

Dans un monde où tous sont victimes, qu’ils soient tyrans ou obéissants, où donc peut être trouvé le bonheur véritable, celui d’être un être de la nature dans la nature ?

Bien sûr, si l’on peut dire que les hommes sont victimes d’être installés en tyrans, l’on peut aussi dire que les femmes sont les tyrans installées en victimes…

Donnant naissance aux hommes comme aux femmes et les éduquant, les femmes ont, de ce fait, une compréhension naturellement plus globale. Un accès un peu moins cassé à la compréhension de la situation et donc à son changement. Une énorme responsabilité dans la perpétuation du système.

15.

Hommes et femmes, tous deux dans les mêmes ténèbres, jouant chacun son mauvais rôle, perpétuent la catastrophe.

Les enfants sont les innocents de cette terre. Ils sont la vie qui brille plus fort que les ténèbres. Même si, très rapidement, les adultes les tirent et les attirent vers les ténèbres. Alors, au fil des ans, leur lumière innocente se dote d’un filtre qui l’empêche d’éclairer et ils sombrent dans un ennui effrayant.

Mais n’oublions pas. N’oublions pas qu’un jour nous avons été enfant.

16.

Pourquoi doit-on exacerber le genre ? Pourquoi doit-on être genré avant d’être ?

Pourquoi ne pas voir et s’intéresser à l’essence de notre être avant les quelques aspects visibles qui le composent et qui de plus, varient d’un individu à un autre mais qu’on apprend à contrôler pour les faire correspondre à une attente de la société.

Pourquoi pas la vie avant son organisation ?

Partir de l’extérieur pour appréhender un individu, partir de ce qui est visible et de la manière dont il est rendu visible, pour connaître quelqu’un, partir de ce qu’il est supposé être pour comprendre quelqu’un, ne mène qu’à un échec sur tous les plans et pour tous, même s’il a l’aspect d’une grande réussite dans certains cas, ce n’est là encore que l’enrobage, l’emballage qu’on lui a donné, à cet échec, qui le fait passer pour une grande réussite, signe ultime de notre focalisation sur l’extérieur, l’apparence, le spectacle.

Demander à quelqu’un de n’être que ce qu’on attend de lui, ce qu’il est supposé être, ce qu’il devrait être selon les critères établis par la société quelle qu’elle soit, c’est un peu comme si chaque être humain était un arc-en-ciel et qu’on lui demandait de n’être qu’une couleur en fonction de son genre, de son statut ou de tout autre critère et de renoncer ainsi à toutes ses autres couleurs qui le composent pour n’en montrer plus qu’une seule, qui serait censée le représenter : on prive alors des êtres de toute leur profondeur, de leurs maintes capacités, de leurs particularités, et en les réduisant à un aspect, on les empêche de s’épanouir et ainsi frustrés ils perpétuent un système voué à l’échec mais qui fait le jeu de ceux qui croient que c’est la seule façon de gagner, alors que c’est en fait le chemin vers la perdition.

Quand deux êtres s’aiment, s’ils combattent l’un contre l’autre, à la fin du combat, qui a gagné ? Il y a deux perdants. Le vainqueur et le vaincu ont tous les deux anéanti la possibilité d’un accomplissement véritable.

17.

La nature des hommes et des femmes n’est pas différente, car la nature des hommes et des femmes est la nature, et non pas un genre.

Ce sont tous deux des êtres de la nature.

Que la nature s’exprime de façon légèrement différente chez l’un ou chez l’autre, que les teintes en soient multiples, que la forme soit autre et semblable à la fois, n’en font pas deux êtres de nature différente mais deux êtres de la nature sous des formes légèrement différentes.

Si l’on part de la nature pour comprendre les êtres, on oublie alors l’âge, le genre, la couleur de peau ou la forme, et l’on voit avec les yeux de l’univers la vie dans toute sa splendeur.

Texte écrit au printemps 2017