Il y a mille maux sur cette terre,
des pages et des pages ne suffiraient pas à les exprimer.
Ici, s’exprime le désespoir qu’un individu peut vivre à l’intérieur de lui-même,
à travers les tourments de petites histoires
source des maux les plus grands de l’Histoire.
Première partie
1.
Les rideaux sont fermés.
Voix off (Elle)
Je suis arrivée ici.
On m’a abandonnée.
Pas Dieu, non, envers lui je n’aurais pas eu de ressentiments. Non. Ceux qui m’ont abandonnée, je ne leur pardonnerai probablement pas, malgré mon désir volontaire de le faire , car cela me rendrait la conscience tranquille et la vie plus douce.
Pourquoi je suis arrivée là ? Le pire endroit que je connaissais à cette époque. Presque le seul endroit que je connaissais à cette époque. Et un des pires endroits que je connaisse maintenant.
… silence …
D’abord il y a le passage devant le V.G. (Vérificateur Général). Le règlement m’a été expliqué.
Le Bureau du V.G. La porte. Une chaise et une table moches en plastique grisâtre ou blanchâtre. Une lampe de bureau moderne à la lumière froide et qui éblouit. Mlle Vernon est assise, face spectateur. Le V.G est debout.
Mlle Vernon : robe rose, collant violet, écharpe rose, coiffée avec deux couettes et des élastiques roses ou violets, chaussures roses.
Le V.G. : pantalon gris, chemise grise, cheveux courts bien peignés. Une montre au poignet.
Les rideaux s’ouvrent.
Le V.G.
Mlle ?
Elle
Mlle Vernon.
Le V.G.
Mlle Vernon bonjour, je suis Artus Brak, Vérificateur Général, c’est à moi qu’il faudra s’adresser pour toute question sur le règlement, toute revendication concernant la sécurité, toute plainte, et c’est aussi à moi que vous aurez affaire en cas de non-respect du règlement de votre part. C’est compris ?
Elle
Oui.
Le V.G.
Oui M. le Vérificateur Général.
Elle
…
Le V.G.
Vous devez vous adressez à moi en explicitant mon titre : M. le Vérificateur Général. Compris ?
Elle
Humm… Compris.
Le V.G.
Non, vous n’avez pas compris Mlle Vernon, vous devez me dire : oui M. le Vérificateur Général.
C’est à vous.
Elle en marmonnant
Oui M. le Vérificateur Général.
Le V.G.
Ok, c’est bien, elle a bien compris la leçon, mais plus fort maintenant !
Elle en criant
Oui M. le Vérificateur Général.
Le V.G.
Mais sans crier !
Elle le regard hargneux.
…
Le V.G.
Mais ça ira pour cette fois Mlle Vernon, c’est normal, vous n’êtes pas encore formatée.
Elle
…
Le V.G. tandis qu’il parle il lui enlève vite et presque brutalement son écharpe.
Bon, alors… première chose : la tenue. Pas d’écharpe, pas de ceinture, pas de bague, pas de lacets.
Elle prise de court, hésite, puis
Pourquoi M. le Vérificateur général ?
Le V.G.
Risques de strangulations et agressions diverses. En résumé : accessoires d’habillement trop dangereux.
Elle
Mais, M. le Vérificateur Général… ?
Le V.G.
Quoi Mlle Vernon ?
Elle
Mais nous sommes dans
Le V.G. lui coupant la parole
Oui, et c’est trop dangereux, le passé nous l’a prouvé. Nous sommes adultes, nous les cadreurs, les directeurs etc. et nous tirons les leçons du passé. Bonne leçon de mode pour vous, hein, Mlle Vernon ?
Et il rigole un peu, sans joie toutefois.
Elle
…
Le V.G.
Ensuite, il y a les consignes de conduite :
On ne crie pas, on ne tape pas, on ne pleure pas, on ne prend pas la parole sans qu’elle nous ait été donnée ou sans qu’on ait été désigné pour le faire, on ne ment pas.
On apprend ici la liberté, la légalité et le respect de l’ordre.
On fait fonctionner son cerveau à 100%, on ne rechigne pas à faire les exercices physiques, on ne discute pas.
V.G. lentement avec insistance et en la regardant droit
Le plaisir personnel est interdit.
Elle
…
Le V.G.
En dehors des heures de pause :
On ne boit pas,
On ne pisse pas,
On ne selle pas,
Dans tous les cas, à tout moment :
On ne rote pas, on ne pète pas, on ne suce pas, on ne s’endort pas, on ne rêvasse pas, on ne rit pas, on ne pouffe pas, on ne fait pas le stupide, on suit et applique ce qu’on nous indique à
la lettre et au nombre. On est gentil, on est poli, on est bien et bon, on est ici pour apprendre la morale, la bonne conduite et « le savoir se comporter ». Et le Savoir tout court tout long aussi et surtout !
Elle
Savoir supporter ?
Le V.G.
Se comporter, Mlle Vernon !
Ah aussi, on vous envoie chez le médecin pour qu’il vous fasse une ordonnance si vous avez des problèmes, quels qu’ils soient (physiques, psychiques, esthétiques, éthiques…), problèmes quelconques ou spécialisés. Comme les problèmes d’audition. Vous voyez ce que je veux dire ?
Elle regarde autour d’elle. Puis, sur un ton calme, même si elle est un peu affolée
Je veux sortir !
Elle se lève, cours vers la porte
Je veux sortir d’ici !
Le V.G. calmement, mécaniquement, robotiquement
Elle est fermée.
Elle essaye d’ouvrir la porte.
Le V.G.
La porte est fermée Mlle Vernon. Pas d’issue possible.
Elle essaye encore d’ouvrir la porte en forçant et en secouant la poignée. Mais il n’y a rien à faire, la porte ne s’ouvre pas.
Le V.G la rejoint près de la porte.
Elle se retourne et crie
Rhaaaaaaaa !
Elle a un geste vers lui comme pour le frapper mais il la saisit au poignet.
Le V.G.
Vous ne sortirez pas d’ici Mlle Vernon.
Et il la ramène près du bureau en la tirant par le poignet.
Elle continue à se débattre et lui à la tenir, cela fait qu’elle finit par se retrouver assise à terre.
Le V.G.
Vous êtes insolente et méchante Mlle Vernon. Ici, vous apprendrez à vous comportez et à devenir gentille et sociable. Vous verrez, plus tard vous nous remercierez.
Elle redouble de rage et crie
Lâchez-moi !
Le V.G. sans la lâcher
Mlle Vernon, vous êtes ici car on vous y a mise.
Elle le regarde de façon soutenue, et ne bouge plus.
Le V.G.
Vous y resterez. Vous n’avez pas d’issue. Alors maintenant, vous obéissez ou vous crevez.
NOIR ET RIDEAU
2.a
Au sol une ligne est tracée allant de jardin à cour, séparant l’espace en deux.
Elle : même costume (sauf l’écharpe).
Lui : jean bleu, t-shirt bleu clair avec un dessin en couleur dessus, genre une araignée ou un monstre.
Regard d’Elle changé. Regard de Lui changé aussi sans doute, mais on ne sais pas car on ne la pas vu avant.
Elle semble un peu plus âgée qu’au début, en tout cas, plus « fausse ».
Quand Elle et Lui parlent, ils ne se regardent jamais. C’est comme s’ils n’étaient pas côte à côte. Ils ne se regardent à aucun moment.
Elle à cour Lui à jardin. Tous deux à l’avant de la scène, à l’avant de la ligne tracée au sol.
Lumière forte.
Les rideaux s’ouvrent.
Elle
Gentille
Lui
Sage
Elle
Gentille et souriante
Lui
Sage
Elle
Gentille, souriante et mignonne
Lui
Sage et gentil
Elle
Gentille, souriante et mignonne, et sage
Lui
Sage et gentil
Elle
Sage, mignonne, souriante et gentille
Lui
Sage, gentil, sage et gentil
et intelligent !
Elle
J’adoooooore le
Lui
Rose !
Elle
J’adooooore les
Lui
Robes
Elle
Je déteste les poils !
Lui
C’est dégoûtant !
Je suis fou de
Elle
Robots et monstres !
Lui
J’aime trop les
Elle
Crottes de nez
Lui
J’ai déjà des
Elle
Muscles tu sais !
Lui
Je hais les filles et le rose
Je ne pleure jamais
Elle
Je ne pète jamais.
Lui
Je suis toujours le plus fort !
Elle
Je suis toujours la plus jolie
Lui
Je m’en fiche
Elle
Ça m’est égal de toute façon
NOIR
2.b
Pendant le noir, tout en gardant leurs positionnements Elle à cour et Lui à jardin, ils passent tout deux derrière la ligne tracée au sol, se retrouvant alors à l’arrière de la scène. Ils ont le visage détendu maintenant, presque défait, ils ont l’air plus tristes que méchants.
Lumière tamisée.
Lui
Tu sais la nuit j’ai peur dans le noir
Elle
Même avec la lumière
Lui
Je ne peux pas rester dans ma maison comme je voudrais
Elle
Il faut toujours sortir
Lui
Pour aller s’enfermer là-bas
Elle
Elle me force le matin à avaler les céréales
Lui
J’ai envie de vomir
Elle
Tous les matins
Lui
Et des fois le soir aussi
Elle
Moi le soir j’ai mal au ventre
Lui
Il s’est moqué de moi hier, devant tout le monde
Elle
Je la déteste ma meilleure copine, elle est toujours mieux que moi
Lui
Il y a toujours tout le monde de toute façon
Elle
Jamais seule tranquille
Lui
Mon meilleur copain il n’a rien fait pour m’aider, il a ri et il est parti
Elle
Toujours des gens mais ils t’abandonnent tous
Lui
Ils ne se sont jamais préoccupé de toi de toute façon
Elle
Comment ils font pour faire cela ? Est-ce que je serai comme eux plus tard ?
Lui
Tu seras comme eux plus tard ?
Elle
Je voudrais être une fée ou une princesse
Lui
Je voudrais être un super héros
NOIR
3.a
Lui et Elle passent à nouveau à l’avant de la ligne au sol. Ils y reprennent leurs expressions de départ.
Lumière forte.
Elle
Aujourd’hui j’ai humilié une de mes copines, c’était trop bien !
Lui
Aujourd’hui j’ai craché sur une fille, elle est trop nulle !
Elle
Un garçon m’a tapé alors il a été puni car je l’ai dénoncé
Lui ricanant à la fin de sa phrase
Avec mes copains on a détruit un porte-manteau et personne ne la vu encore
Elle souriant à la fin de sa phrase
J’ai réussi l’exercice, j’ai été félicitée
Lui
Les autres avait raté. J’étais le seul à avoir réussi
Elle avec un petit sourire
J’ai volé la barrette de ma copine
Lui
A grimper jusqu’en haut du portique
Elle
Elle ne s’en est pas rendu compte. Je vais la mettre dans la poubelle et elle ne la retrouvera jamais !
Lui
J’ai tordu les doigts de Machin, ça lui a fait mal
Elle
Il m’a fait un bisou aujourd’hui Machin
Lui
J’ai tiré les cheveux d’une fille et j’ai été puni, mais je m’en fiche
Elle
Non c’est pas vrai je ne suis pas allée au coin !
Lui
Il voulait m’aider à grimper mais les autres sont arrivés. De toute façon je n’ai pas besoin d’aide. Je l’ai poussé.
Elle
C’est interdit de grimper ici
Lui
Je m’en fiche
Elle
On est puni après
Lui
Je m’en fiche
Elle
Tu es méchant
Lui
Je m’en fiche !
Toi aussi tu es méchante
Elle
Je m’en fiche !
Ils sont méchants ceux qui nous interdisent tout
Lui
Ils sont caca-prout-boudin
Elle
Faut pas dire de gros mots
Lui
caca-prout-boudin
Elle
caca-prout-boudin
Lui
Machin il a montré ses fesses !
Elle
Machine elle a fait un bisou à Machin
Lui
Machin il a été puni
Elle
Machine elle y arrive toujours
Lui
J’ai tapé Machine
Elle
Machine elle n’a pas été punie
Lui
Machin il s’en fiche
Elle
Machine elle adoooore le rose
Lui
Machin il aime les gros monstres
Elle
Machine elle aaaaime le rose
Lui
Machin il a même pas peur
Elle
Machine elle est trop gentille
Lui
Machin il s’en fiche
Elle
Machin il est méchant
Lui
Machin c’est un garçon
Elle
Machine c’est une fille
NOIR
___________________________________________________________
3.b
Pendant le noir, ils passent à l’arrière de la ligne au sol. Ils ont le visage détendu maintenant presque défait, il ont l’air plus tristes que méchants.
Lumière tamisée.
Lui
Dans mon lit j’ai pleuré. Tout seul, sans que personne ne me voit. Je suis toujours tout seul, nuit et jour, tous les jours, toutes les nuits, et même en dehors
Elle
Il m’a embrassée là où je ne voulais pas, elle m’a forcée à manger, ils ne m’ont pas écoutée, ils ne m’écoutent jamais. Je n’aime pas ce dentifrice. Je n’aime pas ce livre, mais je rigole quand même
Lui
Je fais des cauchemars la nuit mais je ne veux pas le dire
Elle
Tous les matins, je suis encore fatiguée. Le soir je m’endors à table pendant le repas
Lui
Tous les soirs je crie. Ça ne leur plaît pas mais ils ne font rien pour m’arrêter. Ils ne savent pas comment faire. Ils ne me comprennent pas
Elle
Ils me disent toujours que mes dessins sont beaux. Mais ça se voit qu’ils ne le pensent pas. Mais pourquoi ils doivent toujours dire quelque chose ?
Lui
Ils croient que j’aime vraiment les films violents
Elle
Ils croient que je n’aime pas le bleu
Lui
Ils croient que ce sont vraiment des copains
Elle
Ils croient que j’ai envie d’inviter mes copines
Lui
Ils ne savent pas que je n’ai pas d’amis
Elle
Ils croient que j’ai des amis
NOIR
RIDEAU
4.
Voix off (Elle)
Petit à petit je m’habituais à cet enfer. Cela a fini par me sembler même normal dans un certain sens.
J’apprenais toutes les choses qu’on doit apprendre âge par âge. Je ressemblais à tous ou à toutes pour être précise, car garçon et fille devaient absolument se distinguer même si le même comportement égocentré, frustré et désespéré était commun aux deux sexes.
Les rideaux s’ouvrent.
Lumière forte.
Les Supérieurs arrivent sur scène en chantant leur hymne.
Ils défilent de façon assez ridicule mais ayant l’air assez sûr d’eux-mêmes ou du moins de la « Cause » qu’ils défendent en la représentant. Adeptes de la Norme, indiscutable, banale et logique, qu’ils appliquent tous les jours dans leurs petites vies bien réglées et rétrécies par la peur de sombrer dans le ratage le plus total qui est pourtant déjà en train de se produire mais qu’on imagine ailleurs afin de pouvoir accepter la chose sans encombres et sans protestations parce qu’on se sait trop faible pour en sortir… BREF, ils entrent et chantent leur hymne.
Refrain
Les filles aiment le rose et les garçons le bleu
les filles sont gentilles et les garçons sont sages
les filles sont jolies et les garçons sont forts
les filles sont jolies et les garçons sont forts
les filles et les garçons ils sont intelligents
les filles et les garçons ils seront des savants
Couplet 1
Leurs petits esprits travaillent bien
leurs petites mains s’appliquent bien
Leurs petits esprits travaillent bien
leurs petites mains s’appliquent bien
Refrain
Couplet 2
Si jamais ils sont pas sages et si jamais ils sont pas gentils
on les punit on les punit on les punit
et après ils sont sages et après ils sont gentils
Refrain
Couplet 3
Aux filles on achète des barbies
aux garçons on achète des supers héros
aux filles on achète des sorcières
aux garçons on achète des monstres
des personnages gentils des personnages méchants
afin de bien comprendre les deux côtés
et ainsi le bien le mal discerner !
Refrain
Couplet 4
Les filles fringuez-vous et maquillez-vous
les garçons lookez-vous et musclez-vous
on vous offrira des bijoux et des armes
on vous offrira des bijoux et des armes
Refrain
Couplet 5
Et si jamais elles n’aiment plus le rose et si jamais ils n’aiment plus le bleu
qu’ils trouvent ça nul et chiant qu’ils trouvent ça niais et fade
on a trouvé la solution
le rouge pour les filles le noir pour les gars
des vampires pour les filles et des loups garous pour les garçons
des cadavres pour les filles des morts-vivants pour les garçons
des fouets pour les filles, Oh oui, oh oui, oh oui,
des menottes pour les gars, Oh oui, Oh oui, Oh oui,
Oh oui
Oh oui, Oh oui, Oh oui, Oh oui
Tout va bien, tout va bien, tout va bien, tout va bien, tout va bien,
Oh oui !
Tout va bien, tout va bien, tout va bien, tout va bien, tout va bien,
Oh oui !
Les Supérieurs qui ont chanté leur hymne, partent de la scène en même temps qu’ils parlent entre-eux :
Supérieur 01
Les filles et les garçons ont tout ce qu’ils veulent de nos jours !
Supérieur 02
Parfois les punitions ne fonctionnent plus, c’est regrettable…
Supérieur 03
Oh, tu sais, ce n’est pas un problème, si les punitions ne fonctionnent plus, il y a l’argent, tu les achètes avec l’argent, ça, ça marche toujours !
RIDEAU
5.a
Elle et Lui à l’avant de la ligne au sol. Encore un peu plus âgés. Vêtements « mode ». Détresse. Ils sont mi-blasés mi-rebelles. Solitude extrême comme depuis toujours, enfin presque toujours…
Lumière forte.
Elle avec un rire glauque à la fin de sa phrase
Aujourd’hui on s’est moqué de notre Supérieure. On a tous ri ! Elle avait l’air trop ridicule. On l’aurait tuée si on avait pu !
Lui
Je lui ai pris son portable, il est petit, il ne sait pas se défendre, et je l’ai forcé à montrer ses fesses devant mes potes !
Puis avec un rire glauque
C’est lui le plus nul !
Elle
Elle ne sait pas que j’ai embrassé son mec, et il m’a dit qu’elle, elle ne savait même pas bien embrasser. De toute façon, elle est cloche !
Lui
On a copié les devoirs de Machin, on l’avait menacé de le tabasser s’il n’acceptait pas !
Elle
Avec mes copines on va aller au concert des Deadtrip samedi soir.
Lui
Machin m’a invité chez lui dimanche, on va jouer à WarXXL, ça va être trop bien.
Elle
C’est moi qui ai le DVD du dernier épisode de SexAddict, et je ne le prêterai qu’à Machine, et seulement si elle me prête sa Nintendo DS !
Lui
Hier on a fait pleurer Machine, elle ne savait plus où se mettre car il y avait le mec qu’elle kiffe qui a vu qu’on lui a mis trop la honte ! Il ne l’a même pas défendue ! Il savait qu’on était trop nombreux moi et mes potes. Il va sans doute s’en chercher une plus sexy maintenant !
Elle
Tu l’as vu Machin
Lui
Il avait encore du vomis sur son sweat
Elle
Taché de la boum de la veille
Lui
Elle a mis sur Facebook la vidéo
Elle
Avec Machin
Lui
Où elle lui fait une fellation
Elle
Elle a bouffé des fraises Tagada
Lui
Pour faire passer le goût
Elle
Mais elle a oublié le paquet dans la salle
Lui
Elle a craché
Elle
Mais je lui ai dit qu’elle faisait mal
Lui
Les fellations
Elle
Que je lui montrerai
Lui
C’est top !
Elle
Sur Machin
Lui
Mais Machin il a une petite bite !
Elle
Moi vendredi prochain je vais à la boum chez
Lui
Machine elle a des gros nichons
Elle
Et j’ai le droit de rester jusqu’à tard moi !
Lui
Je l’emmène à la boum chez
Elle
Machin et
Lui
Machine
Elle
Elle s’est foulée la cheville ! Et Machin
Lui
Il n’a jamais le droit d’aller aux boum !
Elle et Lui
Machin et Machine ils ne pourront même pas venir !
NOIR
5.b
Lui et elle dans à l’arrière de la ligne au sol. Ils ont des cernes. Ils ont le ventre creusé. Ils ont des regards « ordinateurisés ». Ils sont mi-beaux mi-décatis.
Lumière tamisée.
Elle
J’ai mal au ventre
Lui
Je ne peux pas
Elle
Chaque matin j’ai des nœuds dans le ventre
Lui
J’ai peur d’y aller
Elle
J’espère que Machine ne remarquera pas
Lui
J’ai pas fait le travail
Elle
Si elle voit que j’ai un bouton sur mon visage
Lui
Machin il aura amené sa nouvelle DS j’en suis sûr
Elle
Je vais me tartiner le visage avec du fond de teint et elle ne verra rien
Lui
Il va me demander s’ils me l’ont acheté
Elle
J’espère qu’elle ne me fera pas de réflexion
Lui
Ils me l’ont refusé parce que ils m’ont vu fumer
Elle
Je me trouve moche
Lui
J’aimerais pouvoir prendre des anabolisants
Elle
Je me ferai opérer quand je serai grande
Lui
J’ai encore fait des cauchemars
Elle
Je la déteste elle ne me comprend pas
Lui
Il trouve toujours le moyen de se moquer de moi
Elle
Je vais demander à Machine de me donner du gloss
Lui
Peut-être Machin il acceptera de m’en donner
Elle
Il faut que je prenne quelque chose
Lui
Je n’peux pas rester comme ça
Elle
Ce soir
Lui
Machin
Elle
J’espère
Lui
Qu’il aura
Elle
de l’herbe
Lui
à me filer
Elle
Après
Lui
J’attends
Elle
Le week-end
Lui
Pour
Elle
Prendre
Lui et Elle
Des trucs plus forts… !
NOIR
6.a
Elle et Lui vont à l’avant de la ligne au sol. Ils sont encore un peu pus âgés. Elle a les cheveux détachés.
Lumière forte.
Lui
Il nous fait moins chier que les autres ce supérieur mais on s’emmerde quand même.
Elle
Alors on s’amuse à le faire parler
Lui
D’un thème
Elle
Qu’on a choisi
Lui
Et qui n’est pas au programme
Elle
Et ça marche
Lui
On se fout tous de sa gueule
Elle
C’est la bonne poire qui paye pour tous les autres salauds !
Lui
C’est un bouffon.
Elle
Et Machina, c’est la terreur elle.
Lui
Avec elle c’est sûr on ne va pas faire ce petit jeu-là
Elle
De toute façon au bout du compte ce sont tous des tordus cinglés
Lui
Ils sont là pour nous écraser
Elle
Qu’ils en éprouvent du plaisir ou non, ils sont là pour nous soumettre
Lui
Qu’ils le veuillent ou non
Elle
C’est comme ça que ça marche
Lui
S’ils ne le voulaient pas, il ne fallait pas mettre les pieds ici
Elle
Mais heureusement qu’il y a l’autre bouffon
Lui
Sinon ce serait encore pire
et Machinette, elle aussi heureusement qu’elle est là
Elle
C’est la seule pour qui j’ai un peu de respect.
Lui
Elle semble différente
Elle
Un peu
Lui
On se demande qu’est-ce qu’elle fout là
NOIR
6.b
Elle et Lui vont à l’arrière de la ligne au sol.
Lumière tamisée.
Elle
Les journées sont longues.
Lui
Et quand elle ne sont pas difficiles elles sont
Elle
Ennuyeuses
Lui
L’ennui
Elle
La souffrance
Lui
L’ennui et la souffrance
Elle
Souffrir l’ennui et la brutalité
Lui
Les deux à la fois
Elle
Et la peur
Lui
En permanence
Elle
Sans répit
Lui
La peur
Elle
L’ennui
Lui
Et la souffrance
Elle et Lui
En permanence
Lui
Si bien ici
Elle
Que là-bas
Lui
Quand on rentre le soir
Elle
Oui, si bien ici que là-bas
Lui
Le dégoût
Elle et Lui
De tout cela
Elle
Est profond
Sans espoir semble-t-il
Lui
Sans espoir c’est sûr
Elle
Tu n’en as donc plus du tout ?
Lui
Plus du tout
NOIR
7.a
Elle et Lui vont à l’avant de la ligne au sol.
Lumière forte.
Lui
Moi je pars en vacances dans un super endroit
Elle
Je vais faire les boutiques avec elle pendant les vacances
Lui
On va organiser une teuf le premier week-end des vacances
Elle
Machine elle peut même pas partir en vacances
Lui
Juste avant qu’on parte
Elle
Elle n’a pas de chance elle
Lui
Et Machin je ne l’ai même pas invité !
Elle
Il m’a invitée au ciné
Lui
Je vais lui montré la vidéo porno que j’ai piquée à mon
Elle
Je vais le sucer
Lui
Je suis sûr qu’il n’en a jamais vu, lui !
Elle
Je dirai à ma meilleure Machine comment ça se sera passé
Lui
Après on pourra faire des trucs à
Elle
Machine
Lui
Lui et moi
Elle
Elle va jamais se le faire lui !
NOIR
7.b
Elle et Lui vont à l’arrière de la ligne au sol.
Lumière tamisée.
Lui
Il m’a fait mal quand il m’a tapé
Elle
J’ai détesté faire ça
Lui
C’est foutu pour sortir avec Machine
Elle
Je ne sais pas si c’est normal d’avaler
Lui
Elle n’est pas assez longue la mienne
Elle
Je suis dégoûtée d’avoir fait ça
Lui
J’ai envie de tous les tuer
Elle
J’aimerais ne plus voir personne
Lui
Eux ils ne m’aident jamais. Je ne peux rien leur demander
Elle
Je suis seule à crever
Lui
Pourquoi eux ils sont pas là pour moi
Elle
Pourquoi eux ils ne se rendent pas compte
Lui
Ça ne va pas
Elle
Ça va mal
Lui
Je ne m’en sortirai pas
Elle
Je ne serai jamais heureuse
Lui
Eux, ils ne me respectent pas
Elle
Eux, ils ne m’aiment pas
NOIR ET RIDEAU
8.
Supérieur 04 puis Un(e) Autre arrive ensuite.
Un tableau blanc et des feutres.
Lumière forte.
Supérieur 04
Petits soldats de la paix, clamez votre désespoir, clamez vos victoires, soyez de bon petits soldats !
Chairs à boucherie sans tâche de la société moderne, soyez clean et bien-pensants, aimables et bienfaisants ! N’oubliez pas la planète, elle a bien besoin d’être le bouc émissaire de toutes les situations, et mettez vos futurs chers enfants sur la même voie que vous ! Ô, Ô, Ô, soldats de la paix ! Servez l’humanité ! Aidez-la à massacrer, si bien dans la guerre que dans la paix, ne traînez pas ! Tous les moyens sont bons car ils peuvent tous faire du mal, allez-y, mettez-vous à la tâche, peu importe la méthode du moment que vous obéissez à la fatalité humaine ! Servez l’humanité, gardez vos œillères et continuez, c’est bien comme ça ! Comme quand vous étiez petits, vous aviez commencé à comprendre :
Voix off 01
Plus tard, quand je serai grande, je serai maîtresse
Supérieur 04
Oui, c’est très bien cela !
Voix off 01, 02, 03 et 04 (chacun lit une ligne)
Je sais, si je travaille bien maintenant, plus tard j’aurai un travail
Et de l’argent !
Oui et de l’argent !
Tu pourras t’acheter tout ce que tu veux !
Supérieur 04
Oui, ça aussi c’est vrai, et c’est très bien !
Voix off 01
Il faudra que je m’épile, que je me décolore les cheveux et que je me maquille pour avoir un mari…
Voix-off 04
Moi je suis le plus fort, trente-six-dix-mille le plus rapide !!!
Supérieur 04
Sinon mon chéri tu peux aussi dire que c’est toi qui a la plus grosse, mais ça viendra, c’est très bien ce que vous dites les enfants, vous êtes sur la bonne route, continuez comme cela, c’est ce que nous voulons : de bons petits soldats de la paix.
Vous aviez déjà bien compris petits, maintenant, gardez le cap, les enfants, gardez le cap petits soldats de la paix !
Un(e) autre, qui depuis les coulisses ou le public va jusqu’à la scène
La guerre et la paix, deux faces d’une même médaille, n’est-ce pas ?
La guerre sert à la paix et la paix sert à la guerre, une grande histoire d’amour !
Les petits soldats de la guerre détruisent et les petits soldats de la paix construisent, mais il s’agit du même bateau, ils œuvrent pour la même cause sans s’en apercevoir ! : l’exploitation de l’être humain par et pour l’être humain, rien de plus, les enfants.
Ne vous inquiétez pas, il y a de la place pour tout le monde sur le bateau : des machinaux jusqu’au capitaine, tous sont des rouages du système humain, de la chair à société.
Il n’y a pas de bateau de sauvetage les enfants, pas d’île déserte pleine de promesses et pas non plus de terre où accoster, il n’y a que l’océan sans frein, déchaîné, et ce bateau humanité qui est voué à l’échec.
En temps de guerre tu te fais tuer, en temps de paix peux-tu vivre ?
En temps de guerre tu te fais emprisonner, en temps de paix es-tu libre ?
Que vaut-il mieux ? Tu peux choisir, déménage là où il te plaira, il n’y a plus de frontières pour nous aujourd’hui, plus de longues distances à parcourir, plus rien que la liberté de choisir sa peine ! Ah, quelle beau monde libertaire ! J’aime ma planète ! I love my planet ! Et je compte bien la sauver, j’ai demandé au Soleil de l’aide, mais il n’est pas libre avant quelques millions d’années et c’est ballot parce que je ne serai plus là pour voir ça (et oui, on est scientifiquement très avancé mais pour l’instant ce n’est pas encore demain le veille qu’on sera rendu immortel, pecato pero, parce que, voir la fin de cette catastrophe planétaire en six dimensions avec effet vibreur, ça m’aurait bien plus tout de même !).
Mais hélas, on peux tout acheter mais pas encore tout avoir.
Supérieur 04
Stop, tu vas trop loin, tu divagues ! »
L’Autre se fait éjecté(e) de la scène.
Supérieur 04
Reprenons notre discours et voyons comment faire pour fabriquer des petits soldats de la paix, je vais vous en dire la recette, dernière version 2.1.
Et il note les ingrédients sur le tableau blanc.
Supérieur 04
D’abord focalisons-nous sur les points essentiels, les ingrédients, à inculquer dès le plus jeune âge :
-
La peur
-
Le manque de confiance (en soi et en les autres, ça va de pair)
-
La certitude que le monde fonctionne tel qu’il fonctionne et qu’il n’y a pas d’autres moyens, pas d’issue, et que si on ne « convient » pas à ce monde, c’est nous qui avons un problème.
-
Le bien et le mal (bien du mal à dire du mal du bien).
Et quelques éléments à éradiquer dès le plus jeune âge :
-
La tendresse
-
L’empathie (la vraie bien sûr pas la fausse dont par contre nous ferons beaucoup usage).
-
Le jugement
-
Le plaisir
-
Le refus
Ensuite, voyons comment procéder :
Prenez un individu minuscule, prenez même ses parents et vérifiez bien qu’ils s’appliquent à correspondre au modèle « normal » (au sens de La Norme) de la société.
Si besoin forcez les, si possible, à y correspondre.
L’individu minuscule pris à la base, devra avoir un poids précis à tel moment précis, devra manger à tel moment précis, devra roter à tel moment précis, devra subir maints examens à tel moment précis et devra correspondre à tel modèle précis. Il devra prendre ce qu’on lui donne comme aliments et ingrédients nécessaires à sa conformité au sein de ce monde.
Il devra ensuite aller dès que possible en centre de conditionnement de niveau 2. Lieu dédié au formatage des post-minuscules : on commence à apprendre la règle N°1 : les autres sont tes ennemis. Les autres en effet limitent et même entravent ta liberté. On apprend la règle N° 2 : endurcis-toi sinon tu vas finir en compote (et les compotes, non, ça tu ne veux pas, tu connais déjà en pot et tu n’aimes pas !) et la règle N° 3 : tu ne manges, ne bois, ni ne fais ce que tu as besoin pour ton organisme et ton bien être profond, mais tu manges, bois, et fais ce qu’il faut pour te formater au bateau humanité. On a une recette pour te formater et toi tu dois apprendre à appliquer la recette sur ton être, on t’apprend à accepter la recette et même à force, au fur et à mesure, et au bout du comte, à faire la recette, à vivre la recette, à être la recette !
On entend l’Autre s’écrier :
Quel machiavélisme parfait ! Quelle génialité époustouflante ! Wow !!!
NOIR ET RIDEAU
9.
Voix off (Elle)
C’était tout cela, ce monde, dans lequel ils m’avaient abandonnée.
On ne peut pas faire ça. Ça ne devrait pas être possible de le faire. Et pourtant, si, ils le font tous.
Ces personnes me dégoûtent. Maintenant je suis « grande ». Je suis ravagée par cette horreur de rouage de l’humanité. J’en ai rien à foutre de l’humanité. J’en ai rien à foutre de la planète. Je voulais juste vivre sans qu’on me blesse à chaque pas. Et c’est raté. C’est déjà raté. Ils m’ont massacrée parce qu’ils m’ont laissé être massacrée. Je les déteste. Mais je ne peux pas les haïr complètement. C’est comme ça. Pourquoi ? Pourquoi tout cela est comme ça ? Je vous le demande ! Vous n’avez pas de réponse ? C’est ce qu’ils m’ont toujours tous dit. Ils n’ont pas de réponse. Ah. Ok. Vous prétendez savoir ce qui est bon pour moi, pour les autres, ce qui est « normal« , ce qui doit se faire obligatoirement, la justice et tout le barzingue, toutes ces merdes, et vous n’avez pas de réponse…
Pas de réponse…
On ne vous a jamais répondu à vous aussi, hein ? Et c’est pour cela que vous n’avez jamais cherché plus loin ?
Et vous osez donner des conseils aux autres et leur dire de ne pas se boucher l’horizon, de penser à l’avenir, de ne pas se fermer de portes, de se laisser plein de possibilités (à la con).
Moi ce qui m’intéresse ce n’est pas l’horizon. Ce n’est pas l’avenir. Ce n’est pas les portes ou les possibilités.
C’est ma vie. Moi. Et ça, pour une grande partie, c’est gâché, à cause de vous.
Je vous déteste cordialement, car si vous m’avez fait ça, c’est que vous n’avez pas trouvé de réponse, c’est que vous ne vous êtes pas rendu heureux vous-mêmes, vous n’avez pas su faire cela.
Vous n’avez pas su envoyer tout valdinguer et vous occuper de votre vie sans en avoir rien à foutre des esprits étriqués qui vous avaient abandonnés eux aussi, et de ceux qui vous entourent de partout encore maintenant.
J’suis pas désespérée. Je ne céderai pas moi. Je veux vivre. Et je ne veux pas abandonner. Rien ni personne . Ni moi ni les autres.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
Deuxième partie
1.a
Voix off (Elle)
On nous demandait de nous orienter. Déjà avant on nous l’avait demandé, mais là, ça devenait pressant. « Il faut que tu t’orientes. Dans quelle branche tu voudras… Quelle spécialisation tu… Quel horizon tu… il ne faut pas te fermer des portes… il vaut mieux avoir plusieurs cordes à son arc qu’une flèche… crois-moi il faut que tu choisisses maintenant la meilleure… pour plus tard… afin de… »
Enfin que des phrases de merde que tout le monde dit mais auxquelles personne ne croit vraiment…
Mais c’est la ritournelle et tu dois faire semblant de choisir quelque chose comme si c’était un choix.
Elle et Lui sont encore plus âgés. Vêtements « mode ». Cheveux teints peut-être. Ils sont à l’avant de la ligne au sol.
Lumière forte.
Lui
Machine elle va faire un Truc A
Elle
Machin, après son Truc il va entrer en Bidule
Lui
Machineu par contre elle va faire un Truc Z
Elle
Machineu de toute façon c’est une bouffonne
Lui
Machin il est absent un jour sur trois
Elle
Lui il va rien faire dans sa vie
Lui
C’est sûr c’est un looser
Elle
Si il veut du fric il a intérêt
Lui
A se réveiller
Elle
Et à passer son Truc
Lui
C’est sûr nos Machins ils nous emmerdent et c’est des bouffons ou des salauds mais
Elle
Si on veut s’en sortir et qu’ils nous foutent la
Lui
Paix et nous donnent des
Elle
Thunes
Lui
Il va falloir assurer
Elle
Un minimum
Lui
Pas envie
Elle
De finir
Lui
A l’enregistrement de
Elle
Boites de conserve
Lui
Dans le Frofri
Elle
Du coin
Lui
Pas envie non plus
Elle
De trop
Lui
Trimer
Elle
Faut essayer de trouver
Lui
La planque
Elle
Mais pas le trou
Lui
Pour avoir un max de fric
Elle
Avec un minimum d’emmerdements
Lui
Pas facile
Elle
Pas couru d’avance
Lui
Mais on s’occupera
Elle
Ça c’est sûr
Lui
Et on occupera
Elle
Tous nos temps morts
Lui
Par maintes activités sportives
Elle
Et loisireuses
Lui
Le pouvoir de consommer
Elle
C’est le pourvoir de vivre
Lui
C’est dégueu d’un certain
Elle
Point de vue
Lui
Mais d’un autre
Elle
Si c’est comme ça
Lui
C’est comme ça
Elle
Il faut donc s’y adapter comme on nous l’a bien appris
Lui
Et essayer d’en tirer le max
Elle
De profit
Lui
Sa place au soleil
Elle
Les autres à l’ombre.
NOIR
PUIS LA LUMIERE, DE PLUSIEURS COULEURS, COMMENCE A CLIGNOTER.
PUIS LA MUSIQUE (genre techno) DE LA TEUF SE FAIT ENTENDRE.
ON LES VOIT DANCER, ou plus exactement, gigoter sur place (Toujours face public). PUIS PETIT A PETIT LA MUSIQUE BAISSE JUSQU’A S’ETEINDRE.
NOIR
1.b
Lui et Elle mêmes âges, mêmes vêtements. Mais à l’arrière de la ligne au sol.
Lumière tamisée.
Lui
Quand je rentre le soir j’ai l’impression d’être un étranger.
Elle
Ça fait longtemps que j’ai cette impression.
Lui
J’suis p’t-être pas normal. J’sais pas mais…
Elle
Ils ont tous l’air plus normaux.
Lui
Ils ont l’air de toujours
Elle
Profiter de tout
Lui
Ils ont l’air
Elle
De convenir
Lui
Mieux
Elle
Ils sont pas
Lui
À côté de la plaque
Elle
Mais ils sont
Lui
Si cons
Petit silence.
Elle
On dirait que nos machins
Lui
Ils n’ont jamais
Elle
Été jeunes
Lui
On va finir comme eux tu crois ?
Elle
On va devenir ce que l’on redoute ?
Lui
Je préférerais mourir plutôt que
Elle
De devenir comme eux
Petit silence
Lui
Ils m’impressionnent des fois
Elle
Ils me font honte d’autres fois
Lui et Elle
Mais la plupart du temps ils me font pitié
Lui et Elle
Je ne veux pas être comme eux
Je ne veux pas être comme ce monde
Je ne voudrais pas être dans ce monde
Lui et Elle
De toute façon ici ou là-bas, je me sens comme un extra-terrestre
Lui
Personne ne m’aime vraiment
Elle
Personne ne me comprend vraiment
Lui
Personne n’existe vraiment
Elle
Je ne sais même pas vraiment si j’existe
NOIR
1.b2
Elle et Lui restent à l’arrière de la ligne au sol.
La lumière reste tamisée.
Elle
Tous les soirs deux heures de travail
Lui
Je veux être libre
Elle
Et je ne le suis pas
Lui
Comment ils osent ignorer cela
Elle
Comment tous le monde fait mine d’ignorer cela
Lui
Comment on accepte !
Elle
Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Lui
Fuguer
Elle
Fuguer ?
Lui
Partir
Elle
Où ?
Lui
Partout mais pas ici.
Elle
C’est partout comme ici.
NOIR
1.b3
Elle et Lui restent à l’arrière de la ligne au sol.
Musique (par exemple Lou Reed « Candy Say » ).
La lumière reste tamisée.
Elle
Il n’y a que cette musique qui me calme
Lui
C’est cette musique que j’aime écouter
Elle
C’est comme un autre monde qui s’ouvre
Lui
Une autre possibilité
Elle
Infinie
Lui
Impossible
Petit silence (en écoutant la musique qui elle continue)
Elle
J’aimerais qu’on me serre dans les bras en me murmurant qu’on m’aime
Lui
J’aimerais qu’on m’écoute comme si j’étais une personne
Elle
Sentir l’odeur de sa peau
Lui
Juste la prendre dans mes bras
Elle
Il serait tendre
Lui
Sentir l’odeur de ses cheveux
Petit silence (en écoutant la musique qui elle continue)
Lui
Elle me comprendrait
Elle
Il me consolerait
C’est sûr
Lui et Elle
Si c’était ELLE/LUI l’amour de ma vie, la femme/l’homme idéal/e. Celle/celui qui serait différent/e du monde. Celle/celui pour qui tout vaudrait la peine ! Pour qui, tout, même la vie, vaudrait la peine d’être vécue !
Silence, à part la musique qui elle continue toujours.
Sans se regarder (chacun toujours face public), Elle et Lui se prennent la main tout doucement, et sentent, et pensent.
Pensent à ce qu’ils souhaiteraient. Rêvent d’un être aimé qui les aime. Ressentent la douceur à l’intérieur, la tendresse qu’ils n’oseraient (et n’oseront?) jamais exprimer, jamais laisser paraître.
Lui
Jamais
Elle
Jamais
Lui
Je n’aurai donc
Elle
Cela. Je ne vivrai donc jamais
Lui
Cela
Elle
Pourquoi ?
Lui
Pourquoi ?
Elle
Parce que c’est comme ça
Lui
Parce que c’est comme ça pour tout le monde
Elle
Sur toute la Terre entière
Lui
La planète
Elle
Le monde
Petite pause, à part la musique qui elle continue toujours.
Lui
Peut-être
Elle et Lui
L’Univers
Elle
Il est différent
Lui
Mais il est loin
Elle
Comment le rejoindre ?
Lui
Il est inaccessible !
Elle
Et je ne veux pas mourir
Lui
Pour le rejoindre
Elle
Toi
Lui
Moi ?
Elle
Avec Toi !
Lui
Avec moi ?
Elle
Je pourrais rejoindre l’Univers ?
Lui
Tu pourras le rejoindre ?
Elle
Et toi
Lui
Moi ?
Elle
Tu pourras le rejoindre
Lui
Avec toi
Elle
Avec moi, oui
Lui
Toi, tu ne m’abandonneras jamais n’est-ce pas ?
Elle
Jamais
Lui
Tu n’es pas comme les autres
Elle
Toi et moi pour l’Univers
Lui
A nous !
Elle
A nous !
Lui
Sans compter
Elle
Sans attendre
Lui
Sans mourir
Elle
Sans mourir
Lui
Et toujours avec
Elle et Lui
Amour
Elle
Tu peux me le promettre ?
Lui
Je ne dois rien te promettre
Elle
Nous devons
Lui
Tout vivre
Elle
Sans promesses
Lui
Mieux vaut
Elle
Une vie
Lui
Qu’une promesse
Elle
Qu’une promesse
Lui
Qu’une promesse…
La lumière baisse petit à petit ainsi que la musique (pendant leurs dernières phrases).
NOIR ET RIDEAU
La musique continue pendant que le rideau se ferme et même encore un peu après, puis diminue à nouveau jusqu’à s’éteindre.
2.
Il n’y a plus la ligne au sol. Il y a une pièce avec un lit simple. Un chemisier, un sac à main et un blouson sont posés par terre à côté du lit. C’est le matin.
Elle (Lui n’est pas là) est allongée sur le lit, en train de dormir, encore habillée de la veille.
Lumière forte.
Voix off 05
Réveille toi mon rodoudou, c’est aujourd’hui l’examen !
Elle se redresse en sursaut sur son lit. Regarde autour d’elle puis se laisse retomber sur le lit.
Voix off 05
Allez ma chérie lève-toi, sinon ton Machin va se fâcher
Elle s’assoie sur son lit et se dit pour elle-même
Tu parles, se fâcher, il n’a pas plus d’autorité qu’un moucheron lui !
Elle attrape son sac, fouille dedans, en sort un petit miroir et du rouge à lèvre et s’en met sur les lèvres.
Voix-off 05
Ma chérie…
Elle se racle la gorge puis
J’arrive !
Elle ajoute par dessus son haut le chemisier.
Elle attrape son blouson, l’enfile vaguement, prend son sac au vol et sors de sa chambre.
NOIR ET RIDEAU
_________________________________________________________
3.
Une salle. La porte de la salle. Une chaise et une table moches en plastique grisâtre ou blanchâtre. Une lampe de bureau moderne à la lumière froide et qui éblouit. Mlle Vernon est assise penchée sur ses copies, face spectateur. Le V.G est debout (il a les mêmes vêtements et la même coiffure qu’au début).
Le V.G.
Mlle Vernon !
LUMIERE
Elle relevant d’un coup le haut du corps
Oui M. le Vérificateur Général !
Le V.G.
Quel est la formule du V4 Xw réfuge de l’Excamination Rectupale dans l’hyfde de Récume ?
Elle le regard dans le vague
…
Le V.G.
Mlle Vernon, répondez !
Elle tourne ses yeux blasés vers lui sans vraiment le regarder
34 VFG rectunuancé par f11.
Le V.G.
Parfait Mlle Vernon.
Maintenant passons à la question suivante :
Escurbalde a écrit en 1785 L’Eduptère et la Gelsion, que peut-on dire du point de vue cocopaltique concernant le dernier chapitre de ce roman épistocaire ?
Elle
Qu’Oberstan dénigre Fustula en dépit du fait qu’il soit amoureux d’elle et même de ce fait, parce qu’il a un complexe d’infériorité vis-à-vis des femmes venu du fait que dans sa prime enfance il a subi un traumatisme Freukien de niveau 3 pour cause l’absence de son père et qu’il a donc vécu le complexe d’Euvaque de façon interprédentrice.
Le V.G.
Très bien Mlle Vernon.
Prochaine question :
L’acquarythmie est apparue en 1975 et c’est Vildegan qui l’a découverte. Pouvez-vous faire un topo sur le rapport qu’entretenait Vildegan et Orchfegue à cette époque-là ?
Elle ne le regarde pas mais regarde fixement devant elle
…
Le V.G.
Mlle Vernon ?
Elle
…
Le V.G.
Mlle Vernon, pouvez-vous faire un topo sur le rapport qu’entretenait Vildegan et Orchfegue à cette époque-là ?
Elle tout en connaissant la réponse
Non.
Le V.G.
Vous vous croyez intelligente à faire l’imbécile Mlle Vernon ?
Elle
…
Le V.G.
Vous ne vous rendez encore pas bien compte Mlle Vernon.
Je me rappelle encore quand vous êtes arrivée, toute petite.
Vous avez fait beaucoup de progrès Mlle Vernon… mais vous ne vous rendez toujours pas compte.
Vous ne voulez toujours pas répondre ?
Elle
Non
Le V.G.
D’accord. Zéro pour Mlle Vernon. Question réglée, vous pouvez y aller Mlle Vernon.
Elle
Non
Le V.G. a un sourire en coin, trouvant l’attitude de Mlle Vernon stupide et ridicule. Il attend un instant puis
Je reprends vos copies et hop, vous pouvez y aller, il doit y avoir une séance de ciné dans une demie heure au Mirakam d’à côté, vous pouvez y aller si vous n’en avez rien à faire de vos copies. Je ramasse, vous sortez.
Elle
Non
Le V.G. après un petit silence
Mlle Vernon, vous avez passé l’âge de faire la débile. Ou vous répondez à ma question ou vous sortez.
Elle se lève. L’air terrible. Le V.G. la regarde avec contrôle, suppose qu’elle va sortir mais remarque qu’elle est dans un drôle d’état, il reste attentif.
Soudain, Elle saisit le V.G. au col d’une main et de l’autre sort un petit couteau qu’elle avait caché sur elle et qu’elle pointe lentement vers le visage du V.G. Elle le regarde dans les yeux.
Elle
Maintenant, tu vas remplir pour moi le reste des copies, ok sale rat ?
Le V.G. se contrôle pour rester calme, mais est tout de même un peu essoufflé et nerveux. Cependant il dit posément
Ok, Ok. Maintenant tu baisses ton couteau.
Elle hésite encore un peu. Elle le regarde toujours dans les yeux puis lentement baisse son couteau et le traîne par le col jusque derrière le bureau où elle le fait asseoir sur la chaise devant ses copies.
Le V.G. s’assoit et fait mine de s’installer pour commencer à remplir les copies, mais en relevant un peu ses manches, il cherche discrètement à appuyer sur un bouton de sa montre. Elle ne le remarque pas mais le public le voit.
Elle en lui donnant un petit coup et en pointant à nouveau le couteau vers lui
Alors, tu t’y mets !
Le V.G.
Oui, Oui !
Il fait mine de s’y mettre mais réussit à appuyer sur le bouton de sa montre et un signal d’alarme se déclenche.
Elle se rétracte un instant, jette un œil autour d’elle, le V.G. en profite alors pour lui attraper le poignet et lui donner un coup de genou dans le ventre, elle tombe à genou, laissant tomber son couteau.
Le V.G. la tenant toujours au poignet
Mlle Vernon, n’essayez jamais de vous en sortir en utilisant nos armes, on est plus fort, on est plus nombreux et on est encore plus amers que vous.
Et inutile de vous débattre, ils arrivent les renforts, pour moi bien sûr, pour l’Institution, pas pour vous, Mlle Vernon. Personne ne viendra pour vous. Rappelez-vous, on vous a abandonnée, pourquoi maintenant espérez-vous en vain une quelconque nouveauté ?
Les désespérés comme vous ne font que s’enfoncer de plus belle en voulant détruire ce qui les a formé. Et en s’attaquant à ceux qui les ont formés ils ne font que leur prouver qu’ils les approuvent et qu’ils leur appartiennent.
En utilisant les armes de ce même système, Mlle Vernon, vous le perpétuez et, ou vous en êtes la perdante, ou vous en êtes la gagnante, mais vous ne donnez aucune réponse, vous n’apportez aucun changement. Vous ne serez absolument pas moins désespérée, Mademoiselle Vernon.
Elle le regarde, les yeux mouillés de rage et de détresse.
Ni vraiment suppliante, ni vraiment résistante, ni vraiment haineusement.
Mais un peu de tout cela.
La lumière baisse petit à petit.
NOIR ET RIDEAU
4.
TOUJOURS NOIR ET RIDEAU, pendant toute la fin cela reste ainsi.
Silence pendant un certain temps.
Puis
Voix-off (Elle)
Aujourd’hui tout cela ça s’appelle mon passé. Pendant très longtemps je n’en ai jamais parlé. C’était comme si ça n’avait pas existé. Refouler, transformer, nier, chercher à oublier, reconstruire sur des ruines. Analyser mais pas résoudre. Mais pas comprendre. Mais pas vouloir comprendre, pas vouloir savoir ni se souvenir.
Moi, aujourd’hui, je n’ai plus l’âge de n’avoir plus l’âge de faire la débile. J’ai un autre âge encore.
Vous vous demandez ce que je suis devenue, ce que je vais devenir ?
Et vous, quel âge avez-vous, qui êtes-vous ? Qui êtes-vous devenus ? Croyez-vous pouvoir redevenir celui ou celle que vous étiez avant tout cela, ou avez-vous eu la chance de toujours le rester ?
Pour ma part, je ne crois pas qu’il y ait de réponse… je crois que nous avons chacun notre réponse à chaque instant, unique. Et libre à nous de l’écouter ou de la faire taire, comme on nous a fait taire… libre à nous de l’écouter et de la vivre, ou de l’enfouir et de survivre.
Nous avons le choix à l’âge que nous avons, aujourd’hui et demain. Alors pourquoi ? Pourquoi ?
Pourquoi ne pas nous écouter ? Il n’est jamais trop tard et il n’est jamais trop tôt non plus. C’est toujours le bon moment. L’instant unique mais toujours là. N’attendez pas que les autres vous écoutent, écoutez-vous vous-mêmes et le monde changera.
FIN
Texte écrit en 2012