Un être au crépuscule

 

J’arrive aujourd’hui au crépuscule de ma vie, et je vous demande quelque chose, quelque chose de tout simple mais qui pourtant s’avère parfois difficile :

ne m’enlevez pas ces douces étapes vers la disparition que sont les pertes de facultés tandis que d’autres genres de perceptions (re)viennent, telles les premières années de la vie, magnifiques, où les facultés se développent au gré de notre constitution unique et de notre histoire particulière ; nos dernières années, magiques, elles aussi, nous laissent savourer le deuxième grand changement de notre vie, après l’aurore, celui du crépuscule.

Laissez-moi franchir chaque seuil avec tout mon être, et ma pleine conscience, car la conscience ne vient pas que du fonctionnement des facultés mais de tout l’être et même un peu autour de lui et dont les facultés ne sont qu’une expression. La vie s’exprime à travers maintes formes.

L’on peut bien avoir nos cinq sens, nous sommes perdus si nous n’avons pas celui qui leur en donne un : le goût de vivre.

Je veux pouvoir rejoindre le néant en marchant et en faisant les pas moi-même, et que si des compagnons sont autour, ce soit pour célébrer la vie dont la disparition est un des éléments, une des étapes, et non pour soutenir « un pauvre être« .

Célébrons la vie, la vie qui apparaît, la vie qui se développe, la vie qui perdure et la vie qui disparaît.

Laissons se faire cette merveille qui est la délectation de chaque stade de la vie, de chaque joie, de chaque souffrance, de chaque étrangeté, de chaque extase et de chaque pas.

Merci,

Bien à la vie,

Un être au crépuscule

 

 

Texte écrit le 4 novembre 2018

Je m’appelle Méïsse

Avertissement au lecteur/auditeur

Ce texte ne dit certainement pas que les femmes et les hommes sont exactement pareils, il ne dit pas non plus que femmes et hommes devraient être pareils. Il ne dit pas que l’on ne doit pas voir les différences de chacun (sexe, âge, couleur de peau, forme, niveau social ou toute autre différence). Ce texte dit qu’en aucun cas on ne devrait faire de ces différences une échelle de valeur.

Ce texte parle du phénomène de répression de la vitalité, chez la femme comme chez l’homme, à travers l’empêchement d’être soi-même avant d’être genré, et cela dès la prime enfance ; rendant ainsi filles et garçons victimes du culte du genre, cela les prive de leur intégrité, les formant à se conformer à un genre avant tout autre chose, cela les éloigne de leur nature profonde d’être humain, qui s’occupe de la vie avant le genre ou quoi que ce soit d’autre.

Estelle Soavi

1.

Je m’appelle Méïsse, je suis une femme, on me juge en mesurant mon physique et mon quotient intellectuel, on m’ordonne de couvrir mon corps ou de me déshabiller. On attend de moi que je me comporte et fasse ce que l’on attend de moi. On me viole ou on me met en cage, on me bat ou on m’achète en m’offrant des parures. Quand on m’aime passionnément, on devient fou et on est prêt à tuer. On me qualifie de victime ou de manipulatrice, de bonne femme ou de salope. Je suis oppressée, opprimée, que je subisse les assauts sans compensations ou que je les programme afin d’obtenir ce que je veux en échange. Et le pire de tout cela, est que quand je donne naissance à une fille (l’ayant voulu ou non), je trouve encore le moyen de lui faire passer ce message ou de laisser d’autres lui faire passer, sans intervenir : tu es une femme avant d’être un individu. Tu n’es pas un individu, tu es une femme. Tout ce qui est décrit ci-avant est ce qui t’attend, ou pire, c’est ce qui EST, fatalement. C’est ainsi pour toi comme pour toutes les autres.

 

2.

Je m’appelle Dary, je suis un homme, on me juge à la grosseur de ma bite et de mon ego, on surestime mes capacités intellectuelles, et on attend de moi que j’ai un bon rendement financier.

On m’a appris qu’être un homme c’est être un baiseur infaillible, c’est avoir l’ascendant sur les gens et les choses – surtout quand les gens sont considérés comme des choses c’est plus facile – c’est acquérir par le mérite ou par la force ou les deux à la fois, tous ce qui est possible d’acquérir et même plus encore et encore plus. C’est la démesure, la capacité à détruire, à réduire les autres à un rôle de subordination subi ou choisi, c’est être par la force car sinon en tant qu’homme on n’existe pas.

 

3.

Je m’appelle Méïsse, je suis une femme, on me juge en mesurant mon physique et mon quotient intellectuel, et on en parle comme des caractéristiques techniques d’une voiture.

On veut me libérer, car inévitablement les mœurs évoluent et il devient mal vu de ne pas le vouloir. On veut me libérer, signe évident de ma soi-disant servitude.

Mais une fois libérée, avec les mêmes principes comme règles que ceux de la prison, cela ne donne pas la liberté. Cela donne simplement une autre forme de conditionnement, une autre forme d’allégeance. La même chose d’une autre façon, les mêmes ingrédients mis dans un autre ordre et le gâteau apparaît avec une nouvelle présentation.

 

4.

Je m’appelle Ked, je suis un homme, on me juge à ma force physique, à la taille de ma bite et à mon rendement financier.

On veut que je sois un tyran ou un grand seigneur, violent ou gentleman, on me dit libre dans un monde dirigé par les hommes, on me pousse à être violent, physiquement et psychiquement, et on m’enferme quand je commets des crimes, sauf si c’est moi qui dirige le monde et dans ce cas, c’est moi qui enferme les autres, même quand ils n’en n’ont pas commis.

 

5.

On veut me rendre heureuse, me faire plaisir, me combler à tout point de vue me dit-on.

Cela n’est que le reflet de l’angoisse masculine d’être un « bon amant », tellement on lui a rabâché par des paroles, des images et pire, des sous-entendus, qu’il devait être un « homme », et qu’un « homme » ne pleure pas, ne fait pas d’erreur, n’hésite pas, n’a pas peur, et « comble » sa femme, sa maîtresse et au passage toute la gent féminine (qui bien sûr, de son côté, simule de monter au septième ciel pour exciter son amant, sembler une femme parfaite ou encore pour qu’on lui fiche la paix).

Tout cela fait autant de dégâts chez l’homme que chez la femme, donc en premier lieu chez l’enfant qui se prépare à être un homme ou une femme. Tout en l’embrigadant dans le culte du genre, on lui fait oublier qu’il est un individu avant d’être quoi que ce soit d’autre. On préfère lui infiltrer dans son mental, à coups de bâton ou de cadeaux, qu’il est surtout quoi que ce soit d’autre mais pas un individu.

 

6.

On me dit autorité gagnante de ce monde par rapport aux femmes ainsi qu’aux enfants et aux hommes dit « faibles ».

On me dit fort et viril si je sais m’imposer, montrer ma force, vaincre, abuser, diriger.

On me dit faible et « efféminé » si je suis sensible, si je laisse voir ma sensibilité, et laisse vivre ma douceur, si j’écoute les autres et m’adapte à eux parfois, s’il m’arrive de suivre ce qu’ils proposent, si je suis patient.

On me dit qu’un homme c’est un homme, qu’il est homme avant d’être un individu, et qu’être un homme c’est être viril, et qu’être viril, en gros, c’est écraser les autres pour ne pas être écrasé.

7.

On veut nous libérer mais on nous enferme dans des images, des attitudes, des normes et des critères, et par des pressions on nous amène insidieusement à préférer y correspondre, ou à se sentir obligée d’y correspondre.

Mais on est libre pourtant ?

Ceux qui nous poussent à y correspondre : les autres, le contexte, la société (dont nous faisons partie), sont eux-mêmes poussés par la pression de cette même société (dont ils font partie) à nous faire sentir l’obligation de nous y conformer…

Mais on est libre pourtant ? Et les autres aussi ?

8.

Acquérir. Conquérir. Coloniser. Imposer. Contrôler. Abuser. Sauver. Ordonner. Diriger. Baiser.

Tous ces signes de « virilité », cachent une immense lâcheté due certainement à un énorme sentiment d’insécurité et d’incapacité à être par essence et qui crée le besoin d’une surenchère de preuves de notre existence à travers des artifices qui ne font en réalité que démontrer notre fragilité, notre désarroi et notre incapacité à être complètement. Au lieu d’être, nous faisons semblant d’être en paradant, en donnant l’image d’un être fier et fort, dans l’espoir qu’à travers le regard des autres sur ce mensonge entretenu collectivement, nous trouverons notre salut : que ce manque perpétuel que nous traînons soit comblé, cette frustration latente qui nous colle à la peau disparaisse, ce manque d’assurance ancré en nous s’envole, et que nous soyons enfin un individu avant d’être un homme, que nous soyons un être complet, entier, libre.

Mais nous ne pouvons trouver notre salut à travers les chemins qui nous l’ont dérobé.

9.

Mais s’agit-il là de fonctionnement, de conditionnement, de culture, de mœurs, de règles, de croyance, d’habitudes ou de liberté ?

Il ne s’agit certainement pas de liberté.

La liberté, on ne peut nous la donner, on ne peut nous l’enlever, on ne peut finalement pas la nommer. On peut simplement sans cesse nous mettre des bâtons dans les roues, nous violenter moralement et physiquement, mais on ne peut toucher la liberté, la liberté c’est l’expression de la vie, c’est la vie. À chaque instant de notre vie, on est libre, mais avec un plus ou moins grand nombre de bâtons dans les roues.

On nous menace avec un flingue, on est libre d’accepter, de refuser et de mourir, de se jeter sur l’adversaire ou de courir. Plus la contrainte est forte, plus la liberté est exacerbée et s’exprime avec force ou ne s’exprime plus du tout. Plus la contrainte est faible, plus on croit avoir d’avantage de liberté, et la plupart du temps on n’en fait rien, ce qui, après tout, est une utilisation de notre liberté. Mais on ne peut pas avoir plus ou moins de liberté : on a plus ou moins de contraintes à son expression.

 

10.

Ceux-là même qui dirigent la société, même s’ils ne sont pas excusables, en sont aussi les victimes, au sens où, s’ils sont devenus tyrans, c’est qu’ils ont été pervertis enfants par cette même société et par les hommes et les femmes qui la constituent et qui les ont éduqués.

S’ils étaient « heureux », s’ils sentaient leur liberté, il ne pourraient alors pas prendre part au désastre organisé qu’est notre société au sein de ce monde sordide où seules quelques merveilles éclosent encore dans cette vaste et triste étendue incompréhensible.

11.

On nous transforme en des êtres incomplets.

Souffrant alors de manques quasi impossibles à combler.

Privés de notre unité, on ne nous laisse que quelques aspects de notre être, appelés « masculinité » et « féminité », aspects qu’on nous pousse à exacerber, et qui sont censés prendre toute la place mais qui n’arrivent jamais à combler les manques dont nous souffrons.

Ainsi se crée un éternel combat vers la totalité, inatteignable par les chemins proposés, dans lesquels on nous a collés et dont on nous surveille de ne pas sortir, ce qui nous serait de toute manière difficile (mais pas impossible), et cet éternel combat, perdu d’avance dans ces conditions, nous maintient dans une frustration constante, apportant ainsi de l’eau au moulin du désespoir installé.

12.

Je m’appelle Méïsse, je suis une femme, on me juge en mesurant mon physique et mon quotient intellectuel, on m’ordonne de couvrir mon corps ou de me déshabiller. On attend de moi que je me comporte et fasse ce que l’on attend de moi. On me viole ou on me met en cage, on me bat ou on m’achète en m’offrant des parures. Quand on m’aime passionnément, on devient fou et on est prêt à tuer. On me qualifie de victime ou de manipulatrice, de bonne femme ou de salope. Je suis oppressée, opprimée, que je subisse les assauts sans compensations ou que je les programme afin d’obtenir ce que je veux en échange. Et le pire de tout cela, est que quand je donne naissance à une fille (l’ayant voulu ou non), je trouve encore le moyen de lui faire passer ce message ou de laisser d’autres lui faire passer, sans intervenir : tu es une femme avant d’être un individu. Tu n’es pas un individu, tu es une femme. Tout ce qui est décrit ci-avant est ce qui t’attend, ou pire, c’est ce qui EST, fatalement. C’est ainsi pour toi comme pour toutes les autres.

13.

Je m’appelle Ked, je suis un homme, on me juge à ma force physique, à la taille de ma bite et à mon rendement financier.

On veut que je sois un tyran ou un grand seigneur, violent ou gentleman, on me dit libre dans un monde dirigé par les hommes, on me pousse à être violent, physiquement et psychiquement, et on m’enferme quand je commets des crimes, sauf si c’est moi qui dirige le monde et dans ce cas, c’est moi qui enferme les autres, même quand ils n’en n’ont pas commis.

14.

Si la femme a très tôt appris qu’elle doit exister en tant que chose ou objet, qu’elle est subordonnée et inférieure – et que dès le plus jeune âge elle s’y prépare et s’y plie, bien orientée qu’elle a été consciemment et inconsciemment par la société et les gens qui la composent et la décomposent – elle se sait pourtant, quelque part au fond d’elle, plus forte que ce que l’on prétend qu’elle est, plus intelligente et plus capable que ce que l’on veut qu’elle soit dans la société, elle a l’instinct et la conscience que si on la veut réduire à un rôle de subordination, c’est très certainement parce qu’elle est autre chose qu’un objet et que si cet « autre chose » se réveille et (re)prend sa place, le monde tel qu’il est construit est en péril (péril de se sauver peut-être ? Mais en péril.). Ainsi, malgré les maintes souffrances qu’elle subit, son conditionnement cruel et tous les abus commis sur elle, il y a la pointe de l’iceberg qui dépasse comme signe et preuve irréfutable de ses véritables qualités et capacités, auxquelles elle peut avoir accès.

Tandis que l’homme, tout « favorisé » qu’il est par la société telle qu’elle est, par le monde tel qu’il est, semble être véritablement tel que la société et le monde le décrivent, semble avoir déjà tout ce dont il a besoin et semble ne rien avoir à regretter de cette construction-là, alors qu’en réalité il en est, tout aussi bien que la femme et même plus encore peut-être, le victime. Victime d’en être le tyran. Victime d’en être le représentant. Victime qu’on lui ait volé sa totalité pour l’enfermer dans un rôle qui le réduit et l’éloigne de sa nature profonde. Victime qu’en tant que tyran, il soit encore plus aveuglé que la femme sur la nature profonde des êtres et de la vie. Victime qu’en tant que tyran, il ne ressente pas ou plus le besoin de se libérer, étant installé sur le trône depuis des lustres. Personne ne le plaint car il tient dans ses mains le fouet qui fait s’abattre sur les autres leurs souffrances et leurs misères. Qu’on lui ait mis dès l’enfance le fouet dans les mains en lui faisant croire que c’était sa destinée, qu’on lui ait assuré que cela était normal pour lui de fouetter les autres car « il en est ainsi », qu’on lui ait inculqué l’idée que s’il perdait le fouet il allait recevoir les coups car il n’y a pas d’alternatives, qu’on lui ait vendu son âme pour une soi-disant réussite heureuse ou malheureuse, tout cela ne fait-il pas qu’on l’ait rendu victime irréfutable de cette société, de ce monde ? Victime installée sur le trône de la misère humaine, victime d’être l’organisateur de la perpétuation du désastre du monde tel qu’il est. Bien sûr avec l’aide perverse de certaines femmes.

Dans un monde où tous sont victimes, qu’ils soient tyrans ou obéissants, où donc peut être trouvé le bonheur véritable, celui d’être un être de la nature dans la nature ?

Bien sûr, si l’on peut dire que les hommes sont victimes d’être installés en tyrans, l’on peut aussi dire que les femmes sont les tyrans installées en victimes…

Donnant naissance aux hommes comme aux femmes et les éduquant, les femmes ont, de ce fait, une compréhension naturellement plus globale. Un accès un peu moins cassé à la compréhension de la situation et donc à son changement. Une énorme responsabilité dans la perpétuation du système.

15.

Hommes et femmes, tous deux dans les mêmes ténèbres, jouant chacun son mauvais rôle, perpétuent la catastrophe.

Les enfants sont les innocents de cette terre. Ils sont la vie qui brille plus fort que les ténèbres. Même si, très rapidement, les adultes les tirent et les attirent vers les ténèbres. Alors, au fil des ans, leur lumière innocente se dote d’un filtre qui l’empêche d’éclairer et ils sombrent dans un ennui effrayant.

Mais n’oublions pas. N’oublions pas qu’un jour nous avons été enfant.

16.

Pourquoi doit-on exacerber le genre ? Pourquoi doit-on être genré avant d’être ?

Pourquoi ne pas voir et s’intéresser à l’essence de notre être avant les quelques aspects visibles qui le composent et qui de plus, varient d’un individu à un autre mais qu’on apprend à contrôler pour les faire correspondre à une attente de la société.

Pourquoi pas la vie avant son organisation ?

Partir de l’extérieur pour appréhender un individu, partir de ce qui est visible et de la manière dont il est rendu visible, pour connaître quelqu’un, partir de ce qu’il est supposé être pour comprendre quelqu’un, ne mène qu’à un échec sur tous les plans et pour tous, même s’il a l’aspect d’une grande réussite dans certains cas, ce n’est là encore que l’enrobage, l’emballage qu’on lui a donné, à cet échec, qui le fait passer pour une grande réussite, signe ultime de notre focalisation sur l’extérieur, l’apparence, le spectacle.

Demander à quelqu’un de n’être que ce qu’on attend de lui, ce qu’il est supposé être, ce qu’il devrait être selon les critères établis par la société quelle qu’elle soit, c’est un peu comme si chaque être humain était un arc-en-ciel et qu’on lui demandait de n’être qu’une couleur en fonction de son genre, de son statut ou de tout autre critère et de renoncer ainsi à toutes ses autres couleurs qui le composent pour n’en montrer plus qu’une seule, qui serait censée le représenter : on prive alors des êtres de toute leur profondeur, de leurs maintes capacités, de leurs particularités, et en les réduisant à un aspect, on les empêche de s’épanouir et ainsi frustrés ils perpétuent un système voué à l’échec mais qui fait le jeu de ceux qui croient que c’est la seule façon de gagner, alors que c’est en fait le chemin vers la perdition.

Quand deux êtres s’aiment, s’ils combattent l’un contre l’autre, à la fin du combat, qui a gagné ? Il y a deux perdants. Le vainqueur et le vaincu ont tous les deux anéanti la possibilité d’un accomplissement véritable.

17.

La nature des hommes et des femmes n’est pas différente, car la nature des hommes et des femmes est la nature, et non pas un genre.

Ce sont tous deux des êtres de la nature.

Que la nature s’exprime de façon légèrement différente chez l’un ou chez l’autre, que les teintes en soient multiples, que la forme soit autre et semblable à la fois, n’en font pas deux êtres de nature différente mais deux êtres de la nature sous des formes légèrement différentes.

Si l’on part de la nature pour comprendre les êtres, on oublie alors l’âge, le genre, la couleur de peau ou la forme, et l’on voit avec les yeux de l’univers la vie dans toute sa splendeur.

Texte écrit au printemps 2017

Un corps parfait

 

Plateau vide. Un siège, un homme y est assis, très propre, cheveux ondulés bien coiffés en arrière. Sans âge. Ni vieux ni jeune mais lisse, avec un joli teint. Agréable. Distant mais en même temps mettant à l’aise. Il s’adresse à une patiente, que l’on ne voit pas. Il est face public.

Derrière lui un écran de vidéoprojecteur.

 

Entrez, madame, je vous prie.

Mettez-vous à l’aise, il y a un portemanteau par là, oui c’est cela. Vous pouvez poser votre sac ici, oui, là.

Alors Madame, vous venez pour redimensionner votre poitrine n’est-ce pas ?

Oui, oui c’était indiqué dans la fiche quand vous avez pris rendez-vous.

Oui, je comprends que cela ait été long d’attendre un mois, mais comme vous le savez, je suis très demandé et cela est normal parce que je suis excellent. Mais ne vous en faites pas, maintenant tout va aller relativement vite.

Alors, j’ai lu que vous vouliez augmenter le volume de 5% pour chaque sein n’est-ce pas ?

Ah oui, vous en avez un légèrement plus petit donc vous souhaiteriez finalement augmenter le volume de 5,3% à gauche et 5% à droite, d’accord ; mais puis-je vous conseiller dans votre cas de n’augmenter que de 3,5 % et de 3% ? Car vu l’ensemble de votre physionomie, croyez -moi 3,5% à gauche et 3% à droite serait parfait. Mais peut-être avez-vous envisagé de changer d’autres choses dont vous ne m’avez pas fait part pour le moment, et dans ce cas, bien entendu, l’équilibre général n’étant plus le même, l’augmentation dont vous avez parlé pourrait trouver son sens…

Hum hum. Oui dans un premier temps faisons ce que l’on a dit et ensuite nous verrons. Bien sûr nous pourrons encore rectifier ensuite. Tout à fait.

Veuillez patienter un instant je vous prie, je vais vous créer le graphique de l’augmentation demandée pour que vous puissiez admirer par avance le résultat et le confirmer.

Il projette derrière lui, sur l’écran, le graphique ainsi créé (mais pour de faux : le public doit ne rien voir, seulement imaginer)

Voilà madame, j’espère que vous êtes déjà satisfaite ?

Oui je sais c’est prodigieux. Bien sûr madame. En effet, à voir ce graphique, on pourrait penser à redimensionner le postérieur. Oui sans problème. Non ce n’est pas si coûteux ni compliqué.

C’est tout naturel qu’un être souhaite se diriger vers la perfection. C’est pour permettre cela qu’il y a des experts comme moi. Madame, je m’occupe de tout, soyez tranquille.

Oui ce serait magnifique, en effet, de raffermir les cuisses, tout à fait.

Un instant, je vous sors le graphique avec l’ajout du repulpage des fesses et de l’affermissement des cuisses.

Il met à jour les données et puis projette, derrière lui, le graphique ainsi créé (mais pour de faux : le public doit ne rien voir, seulement imaginer)

D’accord, commençons par cela et nous verrons lors de nos prochains rendez-vous les autres zones à améliorer.

Ah bon, vous trouvez, ah oui, je vois, si les pieds étaient légèrement plus fins, cela serait largement plus harmonieux… oui, oui, oui. Non, ce n’est ni très coûteux ni très compliqué. Nous pourrions réduire d’un centimètre sur chaque pied… oui, vous avez vu juste, madame. Bien sûr que, si les pieds sont plus fins, vous n’ignorez pas que cela serait plus beau de réduire aussi légèrement les chevilles. Hum, hum, tout à fait, bien sûr, je vous prépare le graphique pour voir tout ça, vous allez voir que c’est splendide.

Si j’ai beaucoup de clientes qui se font réduire les pieds et les chevilles ? Oui, oui, oui, c’est très courant, bien sûr, vous n’êtes pas la seule, non, non, non, loin de là. C’est tout à fait normal qu’un être souhaite se diriger vers la perfection. C’est pour permettre cela qu’il y a des experts comme moi. Madame, je m’occupe de tout, soyez tranquille.

Il met à jour les données et puis projette, derrière lui, le graphique ainsi créé (mais pour de faux : le public doit ne rien voir, seulement imaginer)

Regardez le graphique :

Sein gauche +3,5% et sein droit +3% .

Fesses repulpées.

Cuisses raffermies.

Pieds amincis.

Chevilles affinées.

C’est beau n’est-ce pas, Madame ? C’est très beau.

Ne me remerciez pas, Madame, je suis là pour ça. Participer au bonheur de chacun est merveilleux, vous savez. C’est une vocation. Oui, merci, merci.

Donc, validez-vous ce graphique, Madame ?

Ce que je pense de vos jambes ?

Vous avez de très jolies jambes Madame… qui manquent peut-être un peu d’élancement, mais…

Vous avez vous-même très certainement un avis là-dessus, n’est-ce pas? Vous semblez bien renseignée sur les lois de l’équilibre physique et semblez également très perspicace… Voulez-vous me dire ce que vous en pensez, Madame ?

Hum, hum… Hum, hum…

Hum, hum… je vois, vous souhaiteriez un peu plus d’élancement des deux côtés, je vois…

Oui, cela me semble tout à fait compréhensible et naturel. Cela est tout à fait logique, au vu de votre nouvelle anatomie en construction, d’allonger un peu les jambes, c’est un choix très intelligent.

Voyons, ajoutons cela alors, ce n’est pas grand chose, et c’est extrêmement courant comme intervention, nous maîtrisons totalement le rendu. Tous nos clients sont satisfaits.

Alors, où en est-on ?

Sein gauche +3,5% et sein droit +3% .

Fesses repulpées.

Cuisses raffermies.

Pieds amincis.

Chevilles affinées.

Allongement des jambes.

Six petites interventions, oui, cela est très raisonnable, Madame.

Il est tout naturel qu’un être veuille se diriger vers la perfection. Et je suis là pour l’y aider.

Comment ? Si je ne trouve pas que le tour de taille serait plus sexy plus fin ?

Ah, Madame, bien sûr, cela peaufinerait le travail que vous et moi avons entrepris pour resculpter votre corps, mais… cela serait peut-être un peu trop coûteux, Madame…

Comment ? Oui, il est vrai qu’il existe des systèmes de remboursement dans certains cas, ou des offres promotionnelles ainsi que des réductions liées à des points gagnés lors de précédentes interventions, oui, cela est envisageable, en effet, après les six interventions que nous avons prévues, vous aurez cumulé 300 points e-changing me, vous pourrez donc bénéficier d’une importante réduction sur de prochaines interventions, qu’effectivement nous pouvons planifier dès maintenant…

Ne me remerciez pas, Madame, je suis là pour ça. Participer au bonheur de chacun est merveilleux, vous savez. C’est une vocation. Oui, merci, merci.

Dans ce cas, envisageons la réduction de votre tour de taille de…. disons… 3cm… 3cm serait très bien, 4cm serait excellent…. qu’en dites-vous Madame ? Vous choisissez 4cm, entendu, je le note…

Oui, mais dans ce cas, je vous conseille d’intervenir aussi sur l’ensemble de votre ventre, un aplatissement général ainsi qu’une retonification intense de cette zone… Oui, entendu, il n’y a pas de quoi Madame.

Oui, voilà, j’ai ajouté ces deux petites interventions, qui seront réalisées avec une nouvelle technologie ultra-efficace, vous verrez, les résultats obtenus avec celle-ci sont stupéfiants !

Avez-vous pensé à resculpter vos épaules ? À les arrondir légèrement, ce serait très joli, oui, très attirant. Ne me remerciez pas, Madame, souvenez-vous, c’est mon métier d’aider les gens, oui, oui, oui, Madame.

Les poignets pourraient également gagner à être affinés, comme pour les chevilles, mais cette fois un peu moins, seulement très légèrement, quasiment rien…

Oui, et bien sûr, les doigts, s’ils étaient reproportionnés, se marieraient extraordinairement bien avec vos poignets affinés… L’ensemble de votre reconstruction corporelle commencerait alors à être… au top, vous savez, Madame. Vous pourriez alors bientôt égaler les Stars !

Vous pensez à quelque chose, Madame ? Allez-vous bien ? Voulez-vous une petite pilule de décontraction ? Vous savez, il est normal de soigner également l’esprit… Tenez, en voilà une.

Il lui tend une pilule.

Reprenons, nous avons quasiment fait le tour des zones à potentiel d’amélioration.

Sein gauche +3,5% et sein droit +3%.

Fesses repulpées.

Cuisses raffermies.

Pieds amincis.

Chevilles affinées.

Allongement des jambes.

Réduction du tour de taille.

Aplatissement et retonification de la zone ventrale.

Resclupage des épaules.

Affinement des poignets.

Reproportionnement des doigts.

Que pourrait-il manquer à vous faire belle, Madame ?

Pour ce qui est des poils, vous vous êtes déjà fait laserisée l’année dernière, vous n’en avez plus aucun, à part vos cheveux, que vous aviez déjà fait colorer et gonfler de façon permanente il y a trois mois. Vos ongles sont déjà retonifiés. Votre bouche, oui, nous pourrions repulper vos lèvres, ainsi que resculpter votre nez et votre menton, blanchir et aligner vos dents, rapetisser vos oreilles, rendre vos yeux plus brillants et votre cou plus excitant, homogénéiser votre teint et adoucir votre peau, cambrer plus votre dos, embellir vos genoux et… et Madame, quoi encore…. ? Votre sexe, bien sûr, c’est indispensable, il faut (outre l’épilation que vous avez déjà fait, puisqu’elle était globale, sauf vos cheveux, car chauve, non, ce n’est pas de bon goût, on aurait eu l’impression que vous étiez malade si vos cheveux avaient disparu) non, il faut, pour votre sexe, le réduire, le faire égal à celui d’une petite fille pré-pubère, qu’il soit joli, mignon, innocent, Madame. Oui, voilà ce qu’il nous reste à faire avant le grand jour où vous serez parfaite, Madame ! Oui ! Et ensuite, vous serez prête ! Vous serez enfin valable esthétiquement, viable socialement, séductrice dans la peau Madame, comme toute femme veut l’être, et parfaite, comme tout être veut l’être, Madame.

Il ne me reste plus qu’à vous sortir la feuille de route, Madame.

Et une fois que toutes ces interventions seront faites, Madame, il y aura la dernière, Madame.

La dernière, la plus succulente, Madame, la plus réussie certainement…

Non, Madame, il ne s’agit pas de vous prendre votre âme… celle-là, vous l’avez déjà perdue il y a longtemps, Madame…. il s’agit de…

Il se lève… et d’un coup crie :

Vous arracher votre cœur !

 

NOIR. RIDEAU. FIN.

Texte écrit au printemps 2017

Des prostituées et des assassins

Il y a mille maux sur cette terre,

des pages et des pages ne suffiraient pas à les exprimer.

Ici, s’exprime le désespoir qu’un individu peut vivre à l’intérieur de lui-même,

à travers les tourments de petites histoires

source des maux les plus grands de l’Histoire.

Première partie

1.

Les rideaux sont fermés.

Voix off (Elle)

Je suis arrivée ici.

On m’a abandonnée.

Pas Dieu, non, envers lui je n’aurais pas eu de ressentiments. Non. Ceux qui m’ont abandonnée, je ne leur pardonnerai probablement pas, malgré mon désir volontaire de le faire , car cela me rendrait la conscience tranquille et la vie plus douce.

Pourquoi je suis arrivée là ? Le pire endroit que je connaissais à cette époque. Presque le seul endroit que je connaissais à cette époque. Et un des pires endroits que je connaisse maintenant.

silence …

D’abord il y a le passage devant le V.G. (Vérificateur Général). Le règlement m’a été expliqué.

Le Bureau du V.G. La porte. Une chaise et une table moches en plastique grisâtre ou blanchâtre. Une lampe de bureau moderne à la lumière froide et qui éblouit. Mlle Vernon est assise, face spectateur. Le V.G est debout.

Mlle Vernon : robe rose, collant violet, écharpe rose, coiffée avec deux couettes et des élastiques roses ou violets, chaussures roses.

Le V.G. : pantalon gris, chemise grise, cheveux courts bien peignés. Une montre au poignet.

Les rideaux s’ouvrent.

Le V.G.

Mlle ?

Elle

Mlle Vernon.

Le V.G.

Mlle Vernon bonjour, je suis Artus Brak, Vérificateur Général, c’est à moi qu’il faudra s’adresser pour toute question sur le règlement, toute revendication concernant la sécurité, toute plainte, et c’est aussi à moi que vous aurez affaire en cas de non-respect du règlement de votre part. C’est compris ?

Elle

Oui.

Le V.G.

Oui M. le Vérificateur Général.

Elle

Le V.G.

Vous devez vous adressez à moi en explicitant mon titre : M. le Vérificateur Général. Compris ?

Elle

Humm… Compris.

Le V.G.

Non, vous n’avez pas compris Mlle Vernon, vous devez me dire : oui M. le Vérificateur Général.

C’est à vous.

Elle en marmonnant

Oui M. le Vérificateur Général.

Le V.G.

Ok, c’est bien, elle a bien compris la leçon, mais plus fort maintenant !

Elle en criant

Oui M. le Vérificateur Général.

Le V.G.

Mais sans crier !

Elle le regard hargneux.

Le V.G.

Mais ça ira pour cette fois Mlle Vernon, c’est normal, vous n’êtes pas encore formatée.

Elle

Le V.G. tandis qu’il parle il lui enlève vite et presque brutalement son écharpe.

Bon, alors… première chose : la tenue. Pas d’écharpe, pas de ceinture, pas de bague, pas de lacets.

Elle prise de court, hésite, puis

Pourquoi M. le Vérificateur général ?

Le V.G.

Risques de strangulations et agressions diverses. En résumé : accessoires d’habillement trop dangereux.

Elle

Mais, M. le Vérificateur Général… ?

Le V.G.

Quoi Mlle Vernon ?

Elle

Mais nous sommes dans

Le V.G. lui coupant la parole

Oui, et c’est trop dangereux, le passé nous l’a prouvé. Nous sommes adultes, nous les cadreurs, les directeurs etc. et nous tirons les leçons du passé. Bonne leçon de mode pour vous, hein, Mlle Vernon ?

Et il rigole un peu, sans joie toutefois.

Elle

Le V.G.

Ensuite, il y a les consignes de conduite :

On ne crie pas, on ne tape pas, on ne pleure pas, on ne prend pas la parole sans qu’elle nous ait été donnée ou sans qu’on ait été désigné pour le faire, on ne ment pas.

On apprend ici la liberté, la légalité et le respect de l’ordre.

On fait fonctionner son cerveau à 100%, on ne rechigne pas à faire les exercices physiques, on ne discute pas.

V.G. lentement avec insistance et en la regardant droit

Le plaisir personnel est interdit.

Elle

Le V.G.

En dehors des heures de pause :

On ne boit pas,

On ne pisse pas,

On ne selle pas,

Dans tous les cas, à tout moment :

On ne rote pas, on ne pète pas, on ne suce pas, on ne s’endort pas, on ne rêvasse pas, on ne rit pas, on ne pouffe pas, on ne fait pas le stupide, on suit et applique ce qu’on nous indique à

la lettre et au nombre. On est gentil, on est poli, on est bien et bon, on est ici pour apprendre la morale, la bonne conduite et « le savoir se comporter ». Et le Savoir tout court tout long aussi et surtout !

Elle

Savoir supporter ?

Le V.G.

Se comporter, Mlle Vernon !

Ah aussi, on vous envoie chez le médecin pour qu’il vous fasse une ordonnance si vous avez des problèmes, quels qu’ils soient (physiques, psychiques, esthétiques, éthiques…), problèmes quelconques ou spécialisés. Comme les problèmes d’audition. Vous voyez ce que je veux dire ?

Elle regarde autour d’elle. Puis, sur un ton calme, même si elle est un peu affolée

Je veux sortir !

Elle se lève, cours vers la porte

Je veux sortir d’ici !

Le V.G. calmement, mécaniquement, robotiquement

Elle est fermée.

Elle essaye d’ouvrir la porte.

Le V.G.

La porte est fermée Mlle Vernon. Pas d’issue possible.

Elle essaye encore d’ouvrir la porte en forçant et en secouant la poignée. Mais il n’y a rien à faire, la porte ne s’ouvre pas.

Le V.G la rejoint près de la porte.

Elle se retourne et crie

Rhaaaaaaaa !

Elle a un geste vers lui comme pour le frapper mais il la saisit au poignet.

Le V.G.

Vous ne sortirez pas d’ici Mlle Vernon.

Et il la ramène près du bureau en la tirant par le poignet.

Elle continue à se débattre et lui à la tenir, cela fait qu’elle finit par se retrouver assise à terre.

Le V.G.

Vous êtes insolente et méchante Mlle Vernon. Ici, vous apprendrez à vous comportez et à devenir gentille et sociable. Vous verrez, plus tard vous nous remercierez.

Elle redouble de rage et crie

Lâchez-moi !

Le V.G. sans la lâcher

Mlle Vernon, vous êtes ici car on vous y a mise.

Elle le regarde de façon soutenue, et ne bouge plus.

Le V.G.

Vous y resterez. Vous n’avez pas d’issue. Alors maintenant, vous obéissez ou vous crevez.

NOIR ET RIDEAU

2.a

Au sol une ligne est tracée allant de jardin à cour, séparant l’espace en deux.

Elle : même costume (sauf l’écharpe).

Lui : jean bleu, t-shirt bleu clair avec un dessin en couleur dessus, genre une araignée ou un monstre.

Regard d’Elle changé. Regard de Lui changé aussi sans doute, mais on ne sais pas car on ne la pas vu avant.

Elle semble un peu plus âgée qu’au début, en tout cas, plus « fausse ».

Quand Elle et Lui parlent, ils ne se regardent jamais. C’est comme s’ils n’étaient pas côte à côte. Ils ne se regardent à aucun moment.

Elle à cour Lui à jardin. Tous deux à l’avant de la scène, à l’avant de la ligne tracée au sol.

Lumière forte.

Les rideaux s’ouvrent.

Elle

Gentille

Lui

Sage

Elle 

Gentille et souriante

Lui 

Sage

Elle

Gentille, souriante et mignonne

Lui

Sage et gentil

Elle

Gentille, souriante et mignonne, et sage

Lui

Sage et gentil

Elle

Sage, mignonne, souriante et gentille

Lui

Sage, gentil, sage et gentil

et intelligent !

Elle

J’adoooooore le

Lui

Rose !

Elle

J’adooooore les

Lui

Robes

Elle

Je déteste les poils !

Lui

C’est dégoûtant !

Je suis fou de

Elle

Robots et monstres !

Lui

J’aime trop les

Elle

Crottes de nez

Lui

J’ai déjà des

Elle

Muscles tu sais !

Lui

Je hais les filles et le rose

Je ne pleure jamais

Elle

Je ne pète jamais.

Lui

Je suis toujours le plus fort !

Elle

Je suis toujours la plus jolie

Lui

Je m’en fiche

Elle

Ça m’est égal de toute façon

NOIR

2.b

Pendant le noir, tout en gardant leurs positionnements Elle à cour et Lui à jardin, ils passent tout deux derrière la ligne tracée au sol, se retrouvant alors à l’arrière de la scène. Ils ont le visage détendu maintenant, presque défait, ils ont l’air plus tristes que méchants.

Lumière tamisée.

Lui

Tu sais la nuit j’ai peur dans le noir

Elle

Même avec la lumière

Lui

Je ne peux pas rester dans ma maison comme je voudrais

Elle

Il faut toujours sortir

Lui

Pour aller s’enfermer là-bas

Elle

Elle me force le matin à avaler les céréales

Lui

J’ai envie de vomir

Elle

Tous les matins

Lui

Et des fois le soir aussi

Elle

Moi le soir j’ai mal au ventre

Lui

Il s’est moqué de moi hier, devant tout le monde

Elle

Je la déteste ma meilleure copine, elle est toujours mieux que moi

Lui

Il y a toujours tout le monde de toute façon

Elle

Jamais seule tranquille

Lui

Mon meilleur copain il n’a rien fait pour m’aider, il a ri et il est parti

Elle

Toujours des gens mais ils t’abandonnent tous

Lui

Ils ne se sont jamais préoccupé de toi de toute façon

Elle

Comment ils font pour faire cela ? Est-ce que je serai comme eux plus tard ?

Lui

Tu seras comme eux plus tard ?

Elle

Je voudrais être une fée ou une princesse

Lui

Je voudrais être un super héros

NOIR

3.a

Lui et Elle passent à nouveau à l’avant de la ligne au sol. Ils y reprennent leurs expressions de départ.

Lumière forte.

Elle

Aujourd’hui j’ai humilié une de mes copines, c’était trop bien !

Lui

Aujourd’hui j’ai craché sur une fille, elle est trop nulle !

Elle

Un garçon m’a tapé alors il a été puni car je l’ai dénoncé

Lui ricanant à la fin de sa phrase

Avec mes copains on a détruit un porte-manteau et personne ne la vu encore

Elle souriant à la fin de sa phrase

J’ai réussi l’exercice, j’ai été félicitée

Lui

Les autres avait raté. J’étais le seul à avoir réussi

Elle avec un petit sourire

J’ai volé la barrette de ma copine

Lui

A grimper jusqu’en haut du portique

Elle

Elle ne s’en est pas rendu compte. Je vais la mettre dans la poubelle et elle ne la retrouvera jamais !

Lui

J’ai tordu les doigts de Machin, ça lui a fait mal

Elle

Il m’a fait un bisou aujourd’hui Machin

Lui

J’ai tiré les cheveux d’une fille et j’ai été puni, mais je m’en fiche

Elle

Non c’est pas vrai je ne suis pas allée au coin !

Lui

Il voulait m’aider à grimper mais les autres sont arrivés. De toute façon je n’ai pas besoin d’aide. Je l’ai poussé.

Elle

C’est interdit de grimper ici

Lui

Je m’en fiche

Elle

On est puni après

Lui

Je m’en fiche

Elle

Tu es méchant

Lui

Je m’en fiche !

Toi aussi tu es méchante

Elle

Je m’en fiche !

Ils sont méchants ceux qui nous interdisent tout

Lui

Ils sont caca-prout-boudin

Elle

Faut pas dire de gros mots

Lui

caca-prout-boudin

Elle

caca-prout-boudin

Lui

Machin il a montré ses fesses !

Elle

Machine elle a fait un bisou à Machin

Lui

Machin il a été puni

Elle

Machine elle y arrive toujours

Lui

J’ai tapé Machine

Elle

Machine elle n’a pas été punie

Lui

Machin il s’en fiche

Elle

Machine elle adoooore le rose

Lui

Machin il aime les gros monstres

Elle

Machine elle aaaaime le rose

Lui

Machin il a même pas peur

Elle

Machine elle est trop gentille

Lui

Machin il s’en fiche

Elle

Machin il est méchant

Lui

Machin c’est un garçon

Elle

Machine c’est une fille

NOIR

___________________________________________________________

3.b

Pendant le noir, ils passent à l’arrière de la ligne au sol. Ils ont le visage détendu maintenant presque défait, il ont l’air plus tristes que méchants.

Lumière tamisée.

Lui

Dans mon lit j’ai pleuré. Tout seul, sans que personne ne me voit. Je suis toujours tout seul, nuit et jour, tous les jours, toutes les nuits, et même en dehors

Elle

Il m’a embrassée là où je ne voulais pas, elle m’a forcée à manger, ils ne m’ont pas écoutée, ils ne m’écoutent jamais. Je n’aime pas ce dentifrice. Je n’aime pas ce livre, mais je rigole quand même

Lui

Je fais des cauchemars la nuit mais je ne veux pas le dire

Elle

Tous les matins, je suis encore fatiguée. Le soir je m’endors à table pendant le repas

Lui

Tous les soirs je crie. Ça ne leur plaît pas mais ils ne font rien pour m’arrêter. Ils ne savent pas comment faire. Ils ne me comprennent pas

Elle

Ils me disent toujours que mes dessins sont beaux. Mais ça se voit qu’ils ne le pensent pas. Mais pourquoi ils doivent toujours dire quelque chose ?

Lui

Ils croient que j’aime vraiment les films violents

Elle

Ils croient que je n’aime pas le bleu

Lui

Ils croient que ce sont vraiment des copains

Elle

Ils croient que j’ai envie d’inviter mes copines

Lui

Ils ne savent pas que je n’ai pas d’amis

Elle

Ils croient que j’ai des amis

NOIR

RIDEAU

4.

Voix off (Elle)

Petit à petit je m’habituais à cet enfer. Cela a fini par me sembler même normal dans un certain sens.

J’apprenais toutes les choses qu’on doit apprendre âge par âge. Je ressemblais à tous ou à toutes pour être précise, car garçon et fille devaient absolument se distinguer même si le même comportement égocentré, frustré et désespéré était commun aux deux sexes.

Les rideaux s’ouvrent.

Lumière forte.

Les Supérieurs arrivent sur scène en chantant leur hymne.

Ils défilent de façon assez ridicule mais ayant l’air assez sûr d’eux-mêmes ou du moins de la « Cause » qu’ils défendent en la représentant. Adeptes de la Norme, indiscutable, banale et logique, qu’ils appliquent tous les jours dans leurs petites vies bien réglées et rétrécies par la peur de sombrer dans le ratage le plus total qui est pourtant déjà en train de se produire mais qu’on imagine ailleurs afin de pouvoir accepter la chose sans encombres et sans protestations parce qu’on se sait trop faible pour en sortir… BREF, ils entrent et chantent leur hymne.

Refrain

Les filles aiment le rose et les garçons le bleu

les filles sont gentilles et les garçons sont sages

les filles sont jolies et les garçons sont forts

les filles sont jolies et les garçons sont forts

les filles et les garçons ils sont intelligents

les filles et les garçons ils seront des savants

Couplet 1

Leurs petits esprits travaillent bien

leurs petites mains s’appliquent bien

Leurs petits esprits travaillent bien

leurs petites mains s’appliquent bien

Refrain

Couplet 2

Si jamais ils sont pas sages et si jamais ils sont pas gentils

on les punit on les punit on les punit

et après ils sont sages et après ils sont gentils

Refrain

Couplet 3

Aux filles on achète des barbies

aux garçons on achète des supers héros

aux filles on achète des sorcières

aux garçons on achète des monstres

des personnages gentils des personnages méchants

afin de bien comprendre les deux côtés

et ainsi le bien le mal discerner !

Refrain

Couplet 4

Les filles fringuez-vous et maquillez-vous

les garçons lookez-vous et musclez-vous

on vous offrira des bijoux et des armes

on vous offrira des bijoux et des armes

Refrain

Couplet 5

Et si jamais elles n’aiment plus le rose et si jamais ils n’aiment plus le bleu

qu’ils trouvent ça nul et chiant qu’ils trouvent ça niais et fade

on a trouvé la solution

le rouge pour les filles le noir pour les gars

des vampires pour les filles et des loups garous pour les garçons

des cadavres pour les filles des morts-vivants pour les garçons

des fouets pour les filles, Oh oui, oh oui, oh oui,

des menottes pour les gars, Oh oui, Oh oui, Oh oui,

Oh oui

Oh oui, Oh oui, Oh oui, Oh oui

Tout va bien, tout va bien, tout va bien, tout va bien, tout va bien,

Oh oui !

Tout va bien, tout va bien, tout va bien, tout va bien, tout va bien,

Oh oui !

hymne-17-11-2015-3-portees-p01

hymne-17-11-2015-3-portees-p02

hymne-17-11-2015-3-portees-p03hymne-17-11-2015-3-portees-p04hymne-17-11-2015-3-portees-p05hymne-17-11-2015-3-portees-p06hymne-17-11-2015-3-portees-p07hymne-17-11-2015-3-portees-p08hymne-17-11-2015-3-portees-p09hymne-17-11-2015-3-portees-p10hymne-17-11-2015-3-portees-p11Les Supérieurs qui ont chanté leur hymne, partent de la scène en même temps qu’ils parlent entre-eux :

Supérieur 01

Les filles et les garçons ont tout ce qu’ils veulent de nos jours !

Supérieur 02

Parfois les punitions ne fonctionnent plus, c’est regrettable…

Supérieur 03

Oh, tu sais, ce n’est pas un problème, si les punitions ne fonctionnent plus, il y a l’argent, tu les achètes avec l’argent, ça, ça marche toujours !

RIDEAU

5.a

Elle et Lui à l’avant de la ligne au sol. Encore un peu plus âgés. Vêtements « mode ». Détresse. Ils sont mi-blasés mi-rebelles. Solitude extrême comme depuis toujours, enfin presque toujours…

Lumière forte.

Elle avec un rire glauque à la fin de sa phrase

Aujourd’hui on s’est moqué de notre Supérieure. On a tous ri ! Elle avait l’air trop ridicule. On l’aurait tuée si on avait pu !

Lui

Je lui ai pris son portable, il est petit, il ne sait pas se défendre, et je l’ai forcé à montrer ses fesses devant mes potes !

Puis avec un rire glauque

C’est lui le plus nul !

Elle

Elle ne sait pas que j’ai embrassé son mec, et il m’a dit qu’elle, elle ne savait même pas bien embrasser. De toute façon, elle est cloche !

Lui

On a copié les devoirs de Machin, on l’avait menacé de le tabasser s’il n’acceptait pas !

Elle

Avec mes copines on va aller au concert des Deadtrip samedi soir.

Lui

Machin m’a invité chez lui dimanche, on va jouer à WarXXL, ça va être trop bien.

Elle

C’est moi qui ai le DVD du dernier épisode de SexAddict, et je ne le prêterai qu’à Machine, et seulement si elle me prête sa Nintendo DS !

Lui

Hier on a fait pleurer Machine, elle ne savait plus où se mettre car il y avait le mec qu’elle kiffe qui a vu qu’on lui a mis trop la honte ! Il ne l’a même pas défendue ! Il savait qu’on était trop nombreux moi et mes potes. Il va sans doute s’en chercher une plus sexy maintenant !

Elle

Tu l’as vu Machin

Lui

Il avait encore du vomis sur son sweat

Elle

Taché de la boum de la veille

Lui

Elle a mis sur Facebook la vidéo

Elle

Avec Machin

Lui

Où elle lui fait une fellation

Elle

Elle a bouffé des fraises Tagada

Lui

Pour faire passer le goût

Elle

Mais elle a oublié le paquet dans la salle

Lui

Elle a craché

Elle

Mais je lui ai dit qu’elle faisait mal

Lui

Les fellations

Elle

Que je lui montrerai

Lui

C’est top !

Elle

Sur Machin

Lui

Mais Machin il a une petite bite !

Elle

Moi vendredi prochain je vais à la boum chez

Lui

Machine elle a des gros nichons

Elle

Et j’ai le droit de rester jusqu’à tard moi !

Lui

Je l’emmène à la boum chez

Elle

Machin et

Lui

Machine

Elle

Elle s’est foulée la cheville ! Et Machin

Lui

Il n’a jamais le droit d’aller aux boum !

Elle et Lui

Machin et Machine ils ne pourront même pas venir !

NOIR

5.b

Lui et elle dans à l’arrière de la ligne au sol. Ils ont des cernes. Ils ont le ventre creusé. Ils ont des regards « ordinateurisés ». Ils sont mi-beaux mi-décatis.

Lumière tamisée.

Elle

J’ai mal au ventre

Lui

Je ne peux pas

Elle

Chaque matin j’ai des nœuds dans le ventre

Lui

J’ai peur d’y aller

Elle

J’espère que Machine ne remarquera pas

Lui

J’ai pas fait le travail

Elle

Si elle voit que j’ai un bouton sur mon visage

Lui

Machin il aura amené sa nouvelle DS j’en suis sûr

Elle

Je vais me tartiner le visage avec du fond de teint et elle ne verra rien

Lui

Il va me demander s’ils me l’ont acheté

Elle

J’espère qu’elle ne me fera pas de réflexion

Lui

Ils me l’ont refusé parce que ils m’ont vu fumer

Elle

Je me trouve moche

Lui

J’aimerais pouvoir prendre des anabolisants

Elle

Je me ferai opérer quand je serai grande

Lui

J’ai encore fait des cauchemars

Elle

Je la déteste elle ne me comprend pas

Lui

Il trouve toujours le moyen de se moquer de moi

Elle

Je vais demander à Machine de me donner du gloss

Lui

Peut-être Machin il acceptera de m’en donner

Elle

Il faut que je prenne quelque chose

Lui

Je n’peux pas rester comme ça

Elle

Ce soir

Lui

Machin

Elle

J’espère

Lui

Qu’il aura

Elle

de l’herbe

Lui

à me filer

Elle

Après

Lui

J’attends

Elle

Le week-end

Lui

Pour

Elle

Prendre

Lui et Elle

Des trucs plus forts… !

NOIR

6.a

Elle et Lui vont à l’avant de la ligne au sol. Ils sont encore un peu pus âgés. Elle a les cheveux détachés.

Lumière forte.

Lui

Il nous fait moins chier que les autres ce supérieur mais on s’emmerde quand même.

Elle

Alors on s’amuse à le faire parler

Lui

D’un thème

Elle

Qu’on a choisi

Lui

Et qui n’est pas au programme

Elle

Et ça marche

Lui

On se fout tous de sa gueule

Elle

C’est la bonne poire qui paye pour tous les autres salauds !

Lui

C’est un bouffon.

Elle

Et Machina, c’est la terreur elle.

Lui

Avec elle c’est sûr on ne va pas faire ce petit jeu-là

Elle

De toute façon au bout du compte ce sont tous des tordus cinglés

Lui

Ils sont là pour nous écraser

Elle

Qu’ils en éprouvent du plaisir ou non, ils sont là pour nous soumettre

Lui

Qu’ils le veuillent ou non

Elle

C’est comme ça que ça marche

Lui

S’ils ne le voulaient pas, il ne fallait pas mettre les pieds ici

Elle

Mais heureusement qu’il y a l’autre bouffon

Lui

Sinon ce serait encore pire

et Machinette, elle aussi heureusement qu’elle est là

Elle

C’est la seule pour qui j’ai un peu de respect.

Lui

Elle semble différente

Elle

Un peu

Lui

On se demande qu’est-ce qu’elle fout là

NOIR

6.b

Elle et Lui vont à l’arrière de la ligne au sol.

Lumière tamisée.

Elle

Les journées sont longues.

Lui

Et quand elle ne sont pas difficiles elles sont

Elle

Ennuyeuses

Lui

L’ennui

Elle

La souffrance

Lui

L’ennui et la souffrance

Elle

Souffrir l’ennui et la brutalité

Lui

Les deux à la fois

Elle

Et la peur

Lui

En permanence

Elle

Sans répit

Lui

La peur

Elle

L’ennui

Lui

Et la souffrance

Elle et Lui

En permanence

Lui

Si bien ici

Elle

Que là-bas

Lui

Quand on rentre le soir

Elle

Oui, si bien ici que là-bas

Lui

Le dégoût

Elle et Lui

De tout cela

Elle

Est profond

Sans espoir semble-t-il

Lui

Sans espoir c’est sûr

Elle

Tu n’en as donc plus du tout ?

Lui

Plus du tout

NOIR

7.a

Elle et Lui vont à l’avant de la ligne au sol.

Lumière forte.

Lui

Moi je pars en vacances dans un super endroit

Elle

Je vais faire les boutiques avec elle pendant les vacances

Lui

On va organiser une teuf le premier week-end des vacances

Elle

Machine elle peut même pas partir en vacances

Lui

Juste avant qu’on parte

Elle

Elle n’a pas de chance elle

Lui

Et Machin je ne l’ai même pas invité !

Elle

Il m’a invitée au ciné

Lui

Je vais lui montré la vidéo porno que j’ai piquée à mon

Elle

Je vais le sucer

Lui

Je suis sûr qu’il n’en a jamais vu, lui !

Elle

Je dirai à ma meilleure Machine comment ça se sera passé

Lui

Après on pourra faire des trucs à

Elle

Machine

Lui

Lui et moi

Elle

Elle va jamais se le faire lui !

NOIR

7.b

Elle et Lui vont à l’arrière de la ligne au sol.

Lumière tamisée.

Lui

Il m’a fait mal quand il m’a tapé

Elle

J’ai détesté faire ça

Lui

C’est foutu pour sortir avec Machine

Elle

Je ne sais pas si c’est normal d’avaler

Lui

Elle n’est pas assez longue la mienne

Elle

Je suis dégoûtée d’avoir fait ça

Lui

J’ai envie de tous les tuer

Elle

J’aimerais ne plus voir personne

Lui

Eux ils ne m’aident jamais. Je ne peux rien leur demander

Elle

Je suis seule à crever

Lui

Pourquoi eux ils sont pas là pour moi

Elle

Pourquoi eux ils ne se rendent pas compte

Lui

Ça ne va pas

Elle

Ça va mal

Lui

Je ne m’en sortirai pas

Elle

Je ne serai jamais heureuse

Lui

Eux, ils ne me respectent pas

Elle

Eux, ils ne m’aiment pas

NOIR ET RIDEAU

8.

Supérieur 04 puis Un(e) Autre arrive ensuite.

Un tableau blanc et des feutres.

Lumière forte.

Supérieur 04

Petits soldats de la paix, clamez votre désespoir, clamez vos victoires, soyez de bon petits soldats !

Chairs à boucherie sans tâche de la société moderne, soyez clean et bien-pensants, aimables et bienfaisants ! N’oubliez pas la planète, elle a bien besoin d’être le bouc émissaire de toutes les situations, et mettez vos futurs chers enfants sur la même voie que vous ! Ô, Ô, Ô, soldats de la paix ! Servez l’humanité ! Aidez-la à massacrer, si bien dans la guerre que dans la paix, ne traînez pas ! Tous les moyens sont bons car ils peuvent tous faire du mal, allez-y, mettez-vous à la tâche, peu importe la méthode du moment que vous obéissez à la fatalité humaine ! Servez l’humanité, gardez vos œillères et continuez, c’est bien comme ça ! Comme quand vous étiez petits, vous aviez commencé à comprendre :

Voix off 01

Plus tard, quand je serai grande, je serai maîtresse

Supérieur 04

Oui, c’est très bien cela !

Voix off 01, 02, 03 et 04 (chacun lit une ligne)

Je sais, si je travaille bien maintenant, plus tard j’aurai un travail

Et de l’argent !

Oui et de l’argent !

Tu pourras t’acheter tout ce que tu veux !

Supérieur 04

Oui, ça aussi c’est vrai, et c’est très bien !

Voix off 01

Il faudra que je m’épile, que je me décolore les cheveux et que je me maquille pour avoir un mari…

Voix-off 04

Moi je suis le plus fort, trente-six-dix-mille le plus rapide !!!

Supérieur 04

Sinon mon chéri tu peux aussi dire que c’est toi qui a la plus grosse, mais ça viendra, c’est très bien ce que vous dites les enfants, vous êtes sur la bonne route, continuez comme cela, c’est ce que nous voulons : de bons petits soldats de la paix.

Vous aviez déjà bien compris petits, maintenant, gardez le cap, les enfants, gardez le cap petits soldats de la paix !

Un(e) autre, qui depuis les coulisses ou le public va jusqu’à la scène

La guerre et la paix, deux faces d’une même médaille, n’est-ce pas ?

La guerre sert à la paix et la paix sert à la guerre, une grande histoire d’amour !

Les petits soldats de la guerre détruisent et les petits soldats de la paix construisent, mais il s’agit du même bateau, ils œuvrent pour la même cause sans s’en apercevoir ! : l’exploitation de l’être humain par et pour l’être humain, rien de plus, les enfants.

Ne vous inquiétez pas, il y a de la place pour tout le monde sur le bateau : des machinaux jusqu’au capitaine, tous sont des rouages du système humain, de la chair à société.

Il n’y a pas de bateau de sauvetage les enfants, pas d’île déserte pleine de promesses et pas non plus de terre où accoster, il n’y a que l’océan sans frein, déchaîné, et ce bateau humanité qui est voué à l’échec.

En temps de guerre tu te fais tuer, en temps de paix peux-tu vivre ?

En temps de guerre tu te fais emprisonner, en temps de paix es-tu libre ?

Que vaut-il mieux ? Tu peux choisir, déménage là où il te plaira, il n’y a plus de frontières pour nous aujourd’hui, plus de longues distances à parcourir, plus rien que la liberté de choisir sa peine ! Ah, quelle beau monde libertaire ! J’aime ma planète ! I love my planet ! Et je compte bien la sauver, j’ai demandé au Soleil de l’aide, mais il n’est pas libre avant quelques millions d’années et c’est ballot parce que je ne serai plus là pour voir ça (et oui, on est scientifiquement très avancé mais pour l’instant ce n’est pas encore demain le veille qu’on sera rendu immortel, pecato pero, parce que, voir la fin de cette catastrophe planétaire en six dimensions avec effet vibreur, ça m’aurait bien plus tout de même !).

Mais hélas, on peux tout acheter mais pas encore tout avoir.

Supérieur 04

Stop, tu vas trop loin, tu divagues ! »

L’Autre se fait éjecté(e) de la scène.

Supérieur 04

Reprenons notre discours et voyons comment faire pour fabriquer des petits soldats de la paix, je vais vous en dire la recette, dernière version 2.1.

Et il note les ingrédients sur le tableau blanc.

Supérieur 04

D’abord focalisons-nous sur les points essentiels, les ingrédients, à inculquer dès le plus jeune âge :

  • La peur

  • Le manque de confiance (en soi et en les autres, ça va de pair)

  • La certitude que le monde fonctionne tel qu’il fonctionne et qu’il n’y a pas d’autres moyens, pas d’issue, et que si on ne « convient » pas à ce monde, c’est nous qui avons un problème.

  • Le bien et le mal (bien du mal à dire du mal du bien).

Et quelques éléments à éradiquer dès le plus jeune âge :

  • La tendresse

  • L’empathie (la vraie bien sûr pas la fausse dont par contre nous ferons beaucoup usage).

  • Le jugement

  • Le plaisir

  • Le refus

Ensuite, voyons comment procéder :

Prenez un individu minuscule, prenez même ses parents et vérifiez bien qu’ils s’appliquent à correspondre au modèle « normal » (au sens de La Norme) de la société.

Si besoin forcez les, si possible, à y correspondre.

L’individu minuscule pris à la base, devra avoir un poids précis à tel moment précis, devra manger à tel moment précis, devra roter à tel moment précis, devra subir maints examens à tel moment précis et devra correspondre à tel modèle précis. Il devra prendre ce qu’on lui donne comme aliments et ingrédients nécessaires à sa conformité au sein de ce monde.

Il devra ensuite aller dès que possible en centre de conditionnement de niveau 2. Lieu dédié au formatage des post-minuscules : on commence à apprendre la règle N°1 : les autres sont tes ennemis. Les autres en effet limitent et même entravent ta liberté. On apprend la règle N° 2 : endurcis-toi sinon tu vas finir en compote (et les compotes, non, ça tu ne veux pas, tu connais déjà en pot et tu n’aimes pas !) et la règle N° 3 : tu ne manges, ne bois, ni ne fais ce que tu as besoin pour ton organisme et ton bien être profond, mais tu manges, bois, et fais ce qu’il faut pour te formater au bateau humanité. On a une recette pour te formater et toi tu dois apprendre à appliquer la recette sur ton être, on t’apprend à accepter la recette et même à force, au fur et à mesure, et au bout du comte, à faire la recette, à vivre la recette, à être la recette !

On entend l’Autre s’écrier :

Quel machiavélisme parfait ! Quelle génialité époustouflante ! Wow !!!

NOIR ET RIDEAU

9.

Voix off  (Elle)

C’était tout cela, ce monde, dans lequel ils m’avaient abandonnée.

On ne peut pas faire ça. Ça ne devrait pas être possible de le faire. Et pourtant, si, ils le font tous.

Ces personnes me dégoûtent. Maintenant je suis « grande ». Je suis ravagée par cette horreur de rouage de l’humanité. J’en ai rien à foutre de l’humanité. J’en ai rien à foutre de la planète. Je voulais juste vivre sans qu’on me blesse à chaque pas. Et c’est raté. C’est déjà raté. Ils m’ont massacrée parce qu’ils m’ont laissé être massacrée. Je les déteste. Mais je ne peux pas les haïr complètement. C’est comme ça. Pourquoi ? Pourquoi tout cela est comme ça ? Je vous le demande ! Vous n’avez pas de réponse ? C’est ce qu’ils m’ont toujours tous dit. Ils n’ont pas de réponse. Ah. Ok. Vous prétendez savoir ce qui est bon pour moi, pour les autres, ce qui est « normal« , ce qui doit se faire obligatoirement, la justice et tout le barzingue, toutes ces merdes, et vous n’avez pas de réponse…

Pas de réponse…

On ne vous a jamais répondu à vous aussi, hein ? Et c’est pour cela que vous n’avez jamais cherché plus loin ?

Et vous osez donner des conseils aux autres et leur dire de ne pas se boucher l’horizon, de penser à l’avenir, de ne pas se fermer de portes, de se laisser plein de possibilités (à la con).

Moi ce qui m’intéresse ce n’est pas l’horizon. Ce n’est pas l’avenir. Ce n’est pas les portes ou les possibilités.

C’est ma vie. Moi. Et ça, pour une grande partie, c’est gâché, à cause de vous.

Je vous déteste cordialement, car si vous m’avez fait ça, c’est que vous n’avez pas trouvé de réponse, c’est que vous ne vous êtes pas rendu heureux vous-mêmes, vous n’avez pas su faire cela.

Vous n’avez pas su envoyer tout valdinguer et vous occuper de votre vie sans en avoir rien à foutre des esprits étriqués qui vous avaient abandonnés eux aussi, et de ceux qui vous entourent de partout encore maintenant.

J’suis pas désespérée. Je ne céderai pas moi. Je veux vivre. Et je ne veux pas abandonner. Rien ni personne . Ni moi ni les autres.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

Deuxième partie

1.a

Voix off (Elle)

On nous demandait de nous orienter. Déjà avant on nous l’avait demandé, mais là, ça devenait pressant. « Il faut que tu t’orientes. Dans quelle branche tu voudras… Quelle spécialisation tu… Quel horizon tu… il ne faut pas te fermer des portes… il vaut mieux avoir plusieurs cordes à son arc qu’une flèche… crois-moi il faut que tu choisisses maintenant la meilleure… pour plus tard… afin de… »

Enfin que des phrases de merde que tout le monde dit mais auxquelles personne ne croit vraiment…

Mais c’est la ritournelle et tu dois faire semblant de choisir quelque chose comme si c’était un choix.

Elle et Lui sont encore plus âgés. Vêtements « mode ». Cheveux teints peut-être. Ils sont à l’avant de la ligne au sol.

Lumière forte.

Lui

Machine elle va faire un Truc A

Elle

Machin, après son Truc il va entrer en Bidule

Lui

Machineu par contre elle va faire un Truc Z

Elle

Machineu de toute façon c’est une bouffonne

Lui

Machin il est absent un jour sur trois

Elle

Lui il va rien faire dans sa vie

Lui

C’est sûr c’est un looser

Elle

Si il veut du fric il a intérêt

Lui

A se réveiller

Elle

Et à passer son Truc

Lui

C’est sûr nos Machins ils nous emmerdent et c’est des bouffons ou des salauds mais

Elle

Si on veut s’en sortir et qu’ils nous foutent la

Lui

Paix et nous donnent des

Elle

Thunes

Lui

Il va falloir assurer

Elle

Un minimum

Lui

Pas envie

Elle

De finir

Lui

A l’enregistrement de

Elle

Boites de conserve

Lui

Dans le Frofri

Elle

Du coin

Lui

Pas envie non plus

Elle

De trop

Lui

Trimer

Elle

Faut essayer de trouver

Lui

La planque

Elle

Mais pas le trou

Lui

Pour avoir un max de fric

Elle

Avec un minimum d’emmerdements

Lui

Pas facile

Elle

Pas couru d’avance

Lui

Mais on s’occupera

Elle

Ça c’est sûr

Lui

Et on occupera

Elle

Tous nos temps morts

Lui

Par maintes activités sportives

Elle

Et loisireuses

Lui

Le pouvoir de consommer

Elle

C’est le pourvoir de vivre

Lui

C’est dégueu d’un certain

Elle

Point de vue

Lui

Mais d’un autre

Elle

Si c’est comme ça

Lui

C’est comme ça

Elle

Il faut donc s’y adapter comme on nous l’a bien appris

Lui

Et essayer d’en tirer le max

Elle

De profit

Lui

Sa place au soleil

Elle

Les autres à l’ombre.

NOIR

PUIS LA LUMIERE, DE PLUSIEURS COULEURS, COMMENCE A CLIGNOTER.

PUIS LA MUSIQUE (genre techno) DE LA TEUF SE FAIT ENTENDRE.

ON LES VOIT DANCER, ou plus exactement, gigoter sur place (Toujours face public). PUIS PETIT A PETIT LA MUSIQUE BAISSE JUSQU’A S’ETEINDRE.

NOIR

1.b

Lui et Elle mêmes âges, mêmes vêtements. Mais à l’arrière de la ligne au sol.

Lumière tamisée.

Lui

Quand je rentre le soir j’ai l’impression d’être un étranger.

Elle

Ça fait longtemps que j’ai cette impression.

Lui

J’suis p’t-être pas normal. J’sais pas mais…

Elle

Ils ont tous l’air plus normaux.

Lui

Ils ont l’air de toujours

Elle

Profiter de tout

Lui

Ils ont l’air

Elle

De convenir

Lui

Mieux

Elle

Ils sont pas

Lui

À côté de la plaque

Elle

Mais ils sont

Lui

Si cons

Petit silence.

Elle

On dirait que nos machins

Lui

Ils n’ont jamais

Elle

Été jeunes

Lui

On va finir comme eux tu crois ?

Elle

On va devenir ce que l’on redoute ?

Lui

Je préférerais mourir plutôt que

Elle

De devenir comme eux

Petit silence

Lui

Ils m’impressionnent des fois

Elle

Ils me font honte d’autres fois

Lui et Elle

Mais la plupart du temps ils me font pitié

Lui et Elle

Je ne veux pas être comme eux

Je ne veux pas être comme ce monde

Je ne voudrais pas être dans ce monde

Lui et Elle

De toute façon ici ou là-bas, je me sens comme un extra-terrestre

Lui

Personne ne m’aime vraiment

Elle

Personne ne me comprend vraiment

Lui

Personne n’existe vraiment

Elle

Je ne sais même pas vraiment si j’existe

NOIR

1.b2

Elle et Lui restent à l’arrière de la ligne au sol.

La lumière reste tamisée.

Elle

Tous les soirs deux heures de travail

Lui

Je veux être libre

Elle

Et je ne le suis pas

Lui

Comment ils osent ignorer cela

Elle

Comment tous le monde fait mine d’ignorer cela

Lui

Comment on accepte !

Elle

Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Lui

Fuguer

Elle

Fuguer ?

Lui

Partir

Elle

Où ?

Lui

Partout mais pas ici.

Elle

C’est partout comme ici.

NOIR

1.b3

Elle et Lui restent à l’arrière de la ligne au sol.

Musique (par exemple Lou Reed « Candy Say » ).

La lumière reste tamisée.

Elle

Il n’y a que cette musique qui me calme

Lui

C’est cette musique que j’aime écouter

Elle

C’est comme un autre monde qui s’ouvre

Lui

Une autre possibilité

Elle

Infinie

Lui

Impossible

Petit silence (en écoutant la musique qui elle continue)

Elle

J’aimerais qu’on me serre dans les bras en me murmurant qu’on m’aime

Lui

J’aimerais qu’on m’écoute comme si j’étais une personne

Elle

Sentir l’odeur de sa peau

Lui

Juste la prendre dans mes bras

Elle

Il serait tendre

Lui

Sentir l’odeur de ses cheveux

Petit silence (en écoutant la musique qui elle continue)

Lui

Elle me comprendrait

Elle

Il me consolerait

C’est sûr

Lui et Elle

Si c’était ELLE/LUI l’amour de ma vie, la femme/l’homme idéal/e. Celle/celui qui serait différent/e du monde. Celle/celui pour qui tout vaudrait la peine ! Pour qui, tout, même la vie, vaudrait la peine d’être vécue !

Silence, à part la musique qui elle continue toujours.

Sans se regarder (chacun toujours face public), Elle et Lui se prennent la main tout doucement, et sentent, et pensent.

Pensent à ce qu’ils souhaiteraient. Rêvent d’un être aimé qui les aime. Ressentent la douceur à l’intérieur, la tendresse qu’ils n’oseraient (et n’oseront?) jamais exprimer, jamais laisser paraître.

Lui

Jamais

Elle

Jamais

Lui

Je n’aurai donc

Elle

Cela. Je ne vivrai donc jamais

Lui

Cela

Elle

Pourquoi ?

Lui

Pourquoi ?

Elle

Parce que c’est comme ça

Lui

Parce que c’est comme ça pour tout le monde

Elle

Sur toute la Terre entière

Lui

La planète

Elle

Le monde

Petite pause, à part la musique qui elle continue toujours.

Lui

Peut-être

Elle et Lui

L’Univers

Elle

Il est différent

Lui

Mais il est loin

Elle

Comment le rejoindre ?

Lui

Il est inaccessible !

Elle

Et je ne veux pas mourir

Lui

Pour le rejoindre

Elle

Toi

Lui

Moi ?

Elle

Avec Toi !

Lui

Avec moi ?

Elle

Je pourrais rejoindre l’Univers ?

Lui

Tu pourras le rejoindre ?

Elle

Et toi

Lui

Moi ?

Elle

Tu pourras le rejoindre

Lui

Avec toi

Elle

Avec moi, oui

Lui

Toi, tu ne m’abandonneras jamais n’est-ce pas ?

Elle

Jamais

Lui

Tu n’es pas comme les autres

Elle

Toi et moi pour l’Univers

Lui

A nous !

Elle

A nous !

Lui

Sans compter

Elle

Sans attendre

Lui

Sans mourir

Elle

Sans mourir

Lui

Et toujours avec

Elle et Lui

Amour

Elle

Tu peux me le promettre ?

Lui

Je ne dois rien te promettre

Elle

Nous devons

Lui

Tout vivre

Elle

Sans promesses

Lui

Mieux vaut

Elle

Une vie

Lui

Qu’une promesse

Elle

Qu’une promesse

Lui

Qu’une promesse…

La lumière baisse petit à petit ainsi que la musique (pendant leurs dernières phrases).

NOIR ET RIDEAU

La musique continue pendant que le rideau se ferme et même encore un peu après, puis diminue à nouveau jusqu’à s’éteindre.

2.

Il n’y a plus la ligne au sol. Il y a une pièce avec un lit simple. Un chemisier, un sac à main et un blouson sont posés par terre à côté du lit. C’est le matin.

Elle (Lui n’est pas là) est allongée sur le lit, en train de dormir, encore habillée de la veille.

Lumière forte.

Voix off 05

Réveille toi mon rodoudou, c’est aujourd’hui l’examen !

Elle se redresse en sursaut sur son lit. Regarde autour d’elle puis se laisse retomber sur le lit.

Voix off 05

Allez ma chérie lève-toi, sinon ton Machin va se fâcher

Elle s’assoie sur son lit et se dit pour elle-même

Tu parles, se fâcher, il n’a pas plus d’autorité qu’un moucheron lui !

Elle attrape son sac, fouille dedans, en sort un petit miroir et du rouge à lèvre et s’en met sur les lèvres.

Voix-off 05

Ma chérie…

Elle se racle la gorge puis

J’arrive !

Elle ajoute par dessus son haut le chemisier.

Elle attrape son blouson, l’enfile vaguement, prend son sac au vol et sors de sa chambre.

NOIR ET RIDEAU

_________________________________________________________

3.

Une salle. La porte de la salle. Une chaise et une table moches en plastique grisâtre ou blanchâtre. Une lampe de bureau moderne à la lumière froide et qui éblouit. Mlle Vernon est assise penchée sur ses copies, face spectateur. Le V.G est debout (il a les mêmes vêtements et la même coiffure qu’au début).

Le V.G.

Mlle Vernon !

LUMIERE

Elle relevant d’un coup le haut du corps

Oui M. le Vérificateur Général !

Le V.G.

Quel est la formule du V4 Xw réfuge de l’Excamination Rectupale dans l’hyfde de Récume ?

Elle le regard dans le vague

Le V.G.

Mlle Vernon, répondez !

Elle tourne ses yeux blasés vers lui sans vraiment le regarder

34 VFG rectunuancé par f11.

Le V.G.

Parfait Mlle Vernon.

Maintenant passons à la question suivante :

Escurbalde a écrit en 1785 L’Eduptère et la Gelsion, que peut-on dire du point de vue cocopaltique concernant le dernier chapitre de ce roman épistocaire ?

Elle

Qu’Oberstan dénigre Fustula en dépit du fait qu’il soit amoureux d’elle et même de ce fait, parce qu’il a un complexe d’infériorité vis-à-vis des femmes venu du fait que dans sa prime enfance il a subi un traumatisme Freukien de niveau 3 pour cause l’absence de son père et qu’il a donc vécu le complexe d’Euvaque de façon interprédentrice.

Le V.G.

Très bien Mlle Vernon.

Prochaine question :

L’acquarythmie est apparue en 1975 et c’est Vildegan qui l’a découverte. Pouvez-vous faire un topo sur le rapport qu’entretenait Vildegan et Orchfegue à cette époque-là ?

Elle ne le regarde pas mais regarde fixement devant elle

Le V.G.

Mlle Vernon ?

Elle

Le V.G.

Mlle Vernon, pouvez-vous faire un topo sur le rapport qu’entretenait Vildegan et Orchfegue à cette époque-là ?

Elle tout en connaissant la réponse

Non.

Le V.G.

Vous vous croyez intelligente à faire l’imbécile Mlle Vernon ?

Elle

Le V.G.

Vous ne vous rendez encore pas bien compte Mlle Vernon.

Je me rappelle encore quand vous êtes arrivée, toute petite.

Vous avez fait beaucoup de progrès Mlle Vernon… mais vous ne vous rendez toujours pas compte.

Vous ne voulez toujours pas répondre ?

Elle

Non

Le V.G.

D’accord. Zéro pour Mlle Vernon. Question réglée, vous pouvez y aller Mlle Vernon.

Elle

Non

Le V.G. a un sourire en coin, trouvant l’attitude de Mlle Vernon stupide et ridicule. Il attend un instant puis

Je reprends vos copies et hop, vous pouvez y aller, il doit y avoir une séance de ciné dans une demie heure au Mirakam d’à côté, vous pouvez y aller si vous n’en avez rien à faire de vos copies. Je ramasse, vous sortez.

Elle

Non

Le V.G. après un petit silence

Mlle Vernon, vous avez passé l’âge de faire la débile. Ou vous répondez à ma question ou vous sortez.

Elle se lève. L’air terrible. Le V.G. la regarde avec contrôle, suppose qu’elle va sortir mais remarque qu’elle est dans un drôle d’état, il reste attentif.

Soudain, Elle saisit le V.G. au col d’une main et de l’autre sort un petit couteau qu’elle avait caché sur elle et qu’elle pointe lentement vers le visage du V.G. Elle le regarde dans les yeux.

Elle

Maintenant, tu vas remplir pour moi le reste des copies, ok sale rat ?

Le V.G. se contrôle pour rester calme, mais est tout de même un peu essoufflé et nerveux. Cependant il dit posément

Ok, Ok. Maintenant tu baisses ton couteau.

Elle hésite encore un peu. Elle le regarde toujours dans les yeux puis lentement baisse son couteau et le traîne par le col jusque derrière le bureau où elle le fait asseoir sur la chaise devant ses copies.

Le V.G. s’assoit et fait mine de s’installer pour commencer à remplir les copies, mais en relevant un peu ses manches, il cherche discrètement à appuyer sur un bouton de sa montre. Elle ne le remarque pas mais le public le voit.

Elle en lui donnant un petit coup et en pointant à nouveau le couteau vers lui

Alors, tu t’y mets !

Le V.G.

Oui, Oui !

Il fait mine de s’y mettre mais réussit à appuyer sur le bouton de sa montre et un signal d’alarme se déclenche.

Elle se rétracte un instant, jette un œil autour d’elle, le V.G. en profite alors pour lui attraper le poignet et lui donner un coup de genou dans le ventre, elle tombe à genou, laissant tomber son couteau.

Le V.G. la tenant toujours au poignet

Mlle Vernon, n’essayez jamais de vous en sortir en utilisant nos armes, on est plus fort, on est plus nombreux et on est encore plus amers que vous.

Et inutile de vous débattre, ils arrivent les renforts, pour moi bien sûr, pour l’Institution, pas pour vous, Mlle Vernon. Personne ne viendra pour vous. Rappelez-vous, on vous a abandonnée, pourquoi maintenant espérez-vous en vain une quelconque nouveauté ?

Les désespérés comme vous ne font que s’enfoncer de plus belle en voulant détruire ce qui les a formé. Et en s’attaquant à ceux qui les ont formés ils ne font que leur prouver qu’ils les approuvent et qu’ils leur appartiennent.

En utilisant les armes de ce même système, Mlle Vernon, vous le perpétuez et, ou vous en êtes la perdante, ou vous en êtes la gagnante, mais vous ne donnez aucune réponse, vous n’apportez aucun changement. Vous ne serez absolument pas moins désespérée, Mademoiselle Vernon.

Elle le regarde, les yeux mouillés de rage et de détresse.

Ni vraiment suppliante, ni vraiment résistante, ni vraiment haineusement.

Mais un peu de tout cela.

La lumière baisse petit à petit.

NOIR ET RIDEAU

4.

TOUJOURS NOIR ET RIDEAU, pendant toute la fin cela reste ainsi.

Silence pendant un certain temps.

Puis

Voix-off (Elle)

Aujourd’hui tout cela ça s’appelle mon passé. Pendant très longtemps je n’en ai jamais parlé. C’était comme si ça n’avait pas existé. Refouler, transformer, nier, chercher à oublier, reconstruire sur des ruines. Analyser mais pas résoudre. Mais pas comprendre. Mais pas vouloir comprendre, pas vouloir savoir ni se souvenir.

Moi, aujourd’hui, je n’ai plus l’âge de n’avoir plus l’âge de faire la débile. J’ai un autre âge encore.

Vous vous demandez ce que je suis devenue, ce que je vais devenir ?

Et vous, quel âge avez-vous, qui êtes-vous ? Qui êtes-vous devenus ? Croyez-vous pouvoir redevenir celui ou celle que vous étiez avant tout cela, ou avez-vous eu la chance de toujours le rester ?

Pour ma part, je ne crois pas qu’il y ait de réponse… je crois que nous avons chacun notre réponse à chaque instant, unique. Et libre à nous de l’écouter ou de la faire taire, comme on nous a fait taire… libre à nous de l’écouter et de la vivre, ou de l’enfouir et de survivre.

Nous avons le choix à l’âge que nous avons, aujourd’hui et demain. Alors pourquoi ? Pourquoi ?

Pourquoi ne pas nous écouter ? Il n’est jamais trop tard et il n’est jamais trop tôt non plus. C’est toujours le bon moment. L’instant unique mais toujours là. N’attendez pas que les autres vous écoutent, écoutez-vous vous-mêmes et le monde changera.

FIN

 

 

 

Texte écrit en 2012

Espace insertion

Personnages :

M. Jean-Christophe Laval

M. Adrien Tournevite

Une hôtesse d’accueil

M. Laval arrive devant un grand immeuble, il s’arrête et vérifie – sur un bout de papier qu’il a dans la main – l’adresse, puis il lit une plaque qui est affichée sur l’immeuble et entre. Il va vers les ascenseurs, hésite un peu et appuie sur le bouton pour en appeler un. Un ascenseur arrive, M. Laval y entre. Il hésite encore et appuie sur le 4ème étage. Ça monte. Il arrive au 4ème étage, sort de l’ascenseur, longe le couloir et arrive devant une porte ouverte où est inscrit en haut « Espace Insertion ».

Il entre et va droit à l’accueil.

L’hôtesse d’accueil

Bonjour monsieur.

M. Laval

Bonjour Mademoiselle. Je suis M. Jean-Christophe Laval, j’ai rendez-vous avec M. Adrien Tournevite à 9h, je suis un peu en avance…

L’hôtesse d’accueil, montrant les fauteuils en face de l’accueil

Je vous invite à patienter ici. M. Tournevite viendra vous chercher dans un instant.

M. Laval

D’accord. Merci.

M. Laval va s’asseoir. Il y a une table basse en verre avec des magazines posés dessus, ainsi que des brochures de centres culturels et bibliothèques, un distributeur d’eau, des panneaux d’affichage avec des annonces d’offres d’emplois.

D’autres gens sont également en train d’attendre. Il y a une femme avec son enfant, un jeune avec sa guitare (rangée dans son étui) et une jeune femme qui regarde frénétiquement les annonces sur les panneaux.

M. Laval feuillette les magazines et les brochures, puis va lui aussi lire les annonces d’offres d’emplois (il lit à haute voix pour le public) :

Société « Soccup’Bien2 » recrute des baby-sitter.

Profil : jeune fille ou jeune femme motivée et dynamique, souriante et proche des mômes.

Avoir le sens des responsabilités serait le must.

Rémunération : 5 euros/heure + prime de sérieux si reste plus d’un an en fonction.

Exemple de poste :

Enfants de 6, 4 et 1 ans à réveiller, préparer pomponner pour les amener à l’école à 8h20 pour celle de 4 ans, 8h30 pour celui de 6 ans et à la crèche à 10h pour celui de 1 an. Ensuite revenir les chercher à 16h20 pour celle de 4 ans, 16h35 pour celui de 6 ans et 18h05 pour celui de 1 an.

Faire « aller-au-parc-goûter » les plus grands entre 16h40 et 18h05 puis les faire tous les trois rentrer chez eux, donner le biberon à 18h45 au plus petit, la douche aux deux autres, préparer le repas (c’est-à-dire mettre « cordons-bleus-purée-petit-pot » au micro-onde) faire « manger-petit-dessin-animé-câlin-dodo » les trois enfants. Si nécessaire donner un sédatif au plus petit. Quand tous les enfants dorment, en attendant le retour des parents, aller se chercher un dvd ou un jeu sur Wii dans les placards à 300 euros du salon, s’installer sur le canapé à 659 euros et se mater le dvd qu’on a choisi ou se taper le jeu qu’on a sélectionné.

_______________________________________________________________________

Société « Scintillement » recrute techniciens/nes de surfaces de niveau 3 pour tout terrain.

Profil : Personnes (toutes ethnies confondues) n’ayant pas encore de problèmes de mains, de pieds et de dos.

Rémunération : 5 euros/heure avec avantages : -30% de réduction sur les crèmes pour mains dans toutes les grandes surfaces.

Exemple de poste :

Aller nettoyer des bureaux dans des entreprises avant l’arrivée du personnel ; nettoyage des sols, des éléments, dossiers, vitres, vider les cendriers, les poubelles, mettre en route le diffuseur de parfum d’ambiance, aller chercher un café pour le pdg quand il arrive, ranger, avant son arrivée, les affaires qui traînent dans son bureau (chewing-gum écrasé, gobelets vides, bouteille d’alcool à moitié vide, string, capote de la veille etc…) désinfecter si nécessaire. Lécher les bottes du pdg pour qu’elles brillent et son cul si jamais il a envie.

Faire la toilette du chien de la femme du pdg serait un plus apprécié.

Prime en cas de zèle.

_______________________________________________________________________

Société « C’est vraiment plus plus » recrute informaticien/ne tout horizon pour maintenance de sites web désastreux de vente en ligne de produits informatiques.

Profil : Bac +5 ne jouant jamais en réseau (anti-certificat demandé).

Rémunération :10 euros/heure plus chèque cadeau fnac de 10 euros à l’occasion de Noël, valable sur l’ensemble du site « C’est vraiment plus plus ».

Pirates s’abstenir. Merci.

_______________________________________________________________________

Société « With Smile » recrute hôtesses d’accueil et standardistes pour postes prestigieux.

(si vous n’êtes pas trop belle, vous serez placée au standard dans un petit bureau fermé, si vous êtes trop belle vous serez placée à l’accueil à la vue des visiteurs).

Exemple de poste :

Grand Hôtel 5 étoiles « le Lingot Dort » recrute une hôtesse d’accueil et une standardiste.

Nous contacter pour les horaires.

Profil recherché : 90/30/90, 1m80, blonde aux yeux bleus ou rousse aux yeux verts, lèvres pulpeuses. Prenant la pilule.

Envoyer curriculum vitae et lettre de motivation, photo de plein pied plus portrait et mensurations précises par email ou par la poste, ainsi qu’un certificat médical.

Rémunération : 6 euros/heure plus prime de ponctualité, plus prime d’habillement plus prime excellente humeur.

_______________________________________________________________________

M. Adrien Tournevite, arrivant et tendant sa main pour serrer celle de M. Laval

Monsieur Laval bonjour. Veuillez me suivre.

M. Laval

Ah oui, bonjour M. Tournevite… Je vous suis.

Ils vont dans le bureau de M. Tournevite. Au-dessus de la porte d’entrée il y a une grande plaque où est inscrit :

ESPACE INSERTION

Conseiller Insertion

M. Adrien Tournevite

Bac +4

Il y a aussi une petite plaque ajoutée en dessous de la grande plaque où est inscrit :

Connais-les eux-mêmes

M. Tournevite, vivement et avec un peu de mauvaise humeur.

Je sais il y a une erreur sur ma plaque, tout le monde me le dit.

Ils entrent.

M. Tournevite

Asseyez-vous M. Laval, je vous en prie.

M. Laval enlève son chapeau, le pose sur un porte manteau, puis sa veste, la pose sur le dossier de la chaise, et s’assied.

M. Tournevite, posant un dossier sur le bureau puis cliquant avec la souris de son ordinateur

Alors, nous allons voir tout cela…

J’aurais besoin de votre Curriculum Vitae s’il vous plaît M. Laval. On ne me l’a pas encore fourni.

M. Laval, en tendant le C.V à M. Tournevite

Je vous préviens, j’ai un profil atypique.

M. Tournevite

Ne vous inquiétez pas M. Laval, c’est mon métier, je ne vois que ça des profils atypiques !

Petit blanc. Il lit attentivement le C.V en fronçant les sourcils.

M. Laval pendant ce temps se ronge les ongles.

M. Tournevite, toujours en fronçant les sourcils

Vous avez été… agent d’entretien de…

M. Laval se penche au-dessus du C.V pour voir où en est M. Tournevite de la lecture, et quand il a vu, il dit

Radiateurs en fontes, oui ! Et d’éviers en émailles aussi, vous verrez ça figure plus bas sur mon C.V.

M. Tournevite continuant à parcourir le C.V. Avec un silence un peu tendu.

Ah…

Et vous avez été également… technicien de surface c’est cela ? Je n’arrive pas bien à lire…

M. Laval

C’est technicien de surplace, pas de surface.

M. Tournevite, écarquillant les yeux

Technicien de surplace ?

M. Laval

Oui, c’est cela.

M. Tournevite

Excusez-moi M. Laval mais cela ne veut rien dire.

M. Laval

Si, si. C’était quand je résidais 24 h sur 24 chez moi.

M. Tournevite, soufflant un peu

C’est à dire ?

M. Laval

Eh bien, voyez-vous M. Tournevite, quand on a un travail, on va au travail ; et, quand on ne l’a plus, on fait du surplace.

M. Tournevite écarquillant encore les yeux

Vous voulez parler du chômage M. Laval ?

M. Laval

Oui, appelez-le comme vous le voulez. Mais vous voyez, vous me comprenez !

Petit blanc.

M. Tournevite, se reprenant et se raclant la gorge avant de parler

Hum. Bien. Alors, on va prendre les choses par un autre bout.

Votre C.V, je le mets à la corbeille (il le lance dans la corbeille à côté du bureau, M. Laval à ce moment est un peu choqué et fait un geste pour le rattraper, mais le C.V. atterrit quand même dans la corbeille. M. Laval laisse tomber.) et vous allez directement me dire pourquoi vous êtes ici.

M. Laval

Je suis ici parce que je cherche du travail et que l’on m’y a convoqué.

M. Tournevite

Et pourquoi êtes-vous venu plutôt que de faire du « surplace » ?

M. Laval

Eh bien, vous savez mieux que moi que si je ne vais pas à ce genre de rendez-vous c’est mon R.A.A. qui saute !

M. Tournevite, choqué, se prend la tête, puis

Attendez-moi là s’il vous plaît, je vais me chercher un café.

Il se lève et sort sans regarder M. Laval.

M. Laval soupire et se dit à lui-même

qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour ce putain de « Revenu Approximatif d’Aide » ou « Revenu d’Aide Approximative » je ne me souviens jamais exactement comment ça s’appelle.

Il soupire à nouveau et continue

tout ça pour quelques euros de moins en moins…

M. Tournevite revient avec son café à la main. Il s’assied.

A la vôtre M. Laval !

Il boit un peu de café puis

Bon, on va faire le nécessaire pour vous ré-insérer M. Laval.

M. Laval

Mais je n’ai jamais été inséré ! Alors comment voulez-vous me ré-insérer ?!

M. Tournevite, qui soupire mais laisse tomber et continue

On va donc vous insérer M. Laval. Je vais vous créer un dossier.

Laval continue aussi

Insérer… insérer dans quoi ?

M. Tournevite

Vous allez voir. Ce ne sera pas douloureux.

M. Tournevite se met à écrire, tapant fort sur le clavier de l’ordinateur.

A un moment, il s’exclame

Rhooo… qu’est-ce qu’il me fait celui-là ?! Pourquoi ça s’est effacé ?!

Puis dit à M. Laval

Excusez-moi, il faut que je recommence votre dossier car le programme a planté.

M. Laval

On devrait payer plus cher ceux qui font la maintenance informatique…

Silence. M. Tournevite continue à écrire et ignore M. Laval. M. Laval regarde autour de lui. Croise les jambes, les décroise. Se gratte discrètement. Attend.

Un peu de temps après M. Tournevite dit

Voilà M. Laval. C’est bon votre dossier insertion a été créé avec succès !

M. Laval

Et ne pêche plus ?

M. Tournevite, fronçant les sourcils

Pêcher ?

M. Laval

Oui, enfin, ça ne plante plus ?

M. Tournevite

Ah, non. C’est bon. C’est tout bon. Le dossier, il est en place – pas surplace – en place, il n’y a plus qu’à l’envoyer à la C.E.D.I.

M. Laval

La quoi ?!

M. Tournevite

La Commission d’Étude des Dossiers d’Insertion. D’ici une quinzaine de jours vous aurez une réponse.

M. Laval

Une réponse. Sur quoi ?

M. Tournevite

Si votre dossier est accepté ou non M. Laval.

M. Laval

Ah, parce qu’il peut être refusé ! Et je ne le saurai que d’ici une quinzaine de jours !

Et en attendant… ?

M. Tournevite

Vous continuerez à consulter votre compte R.A.A. sur notre site.

M. Laval

Si ça ne plante pas…

M. Tournevite

Et vous vous rendrez aux rendez-vous qu’on vous fixe.

Petit silence. Puis avec un petit sourire à la fin de sa phrase.

Eh puis sinon, si cela n’est pas suffisant pour vous, vous ferez du « surplace », comme vous savez apparemment si bien le faire.

M. Laval se lève d’un coup et prend sa veste

Bon, je crois qu’on a tout vu.

M. Tournevite se lève également et tend la main pour serrer celle de M. Laval

Oui, c’est bon, nous avons terminé pour aujourd’hui M. Laval. Et, n’oubliez pas votre chapeau.

M. Laval, prenant son chapeau et le mettant sur sa tête

Hum, merci. Au-revoir M. Adrien Tournevite.

M. Tournevite

Au-revoir M. Laval. A bientôt.

M. Laval sort.

_________________________________________________________________________

DEUX MOIS PLUS TARD

Dans le même bureau, M. Tournevite et M. Laval.

M. Laval arrive, cette fois sans veste, c’est le printemps et il fait chaud.

M. Tournevite

Bonjour M. Laval. Comment allez-vous ?

M. Laval

Mal et vous ?

M. Tournevite

… Bon, commençons.

Bonne nouvelle – comme vous l’avez su par courrier – votre dossier insertion a été accepté !

M. Laval

Et moi ?

M. Tournevite, se passant la main sur le front, se dit à lui-même

Ah, j’avais oublié à quel point il était… enfin il est… enfin bref … !

Puis à M. Laval

Votre dossier, c’est vous Monsieur, c’est pareil !

M. Laval

Excusez-moi mais

M. Tournevite lui coupant la parole

Vous, votre dossier, tout cela a été accepté, ok ? Il est grand temps de vous insérer maintenant.

M. Laval

Mais… en fait… quand nous avons fait le dossier, nous avons oublié de spécifier dans quelle branche je désirais m’insérer. D’habitude, m’a dit un ami qui lui aussi va se faire insérer, on le précise.

M. Tournevite

Hum. Mais dans votre cas, on vous insère déjà dans l’arbre. Pour la branche on verra après.

M. Laval

M. Tournevite

Bon, venez M. Laval. Cette fois, ne perdons pas de temps à philosopher.

M. Laval

Ah, perdre du temps ! Ça coûte cher cela !

M. Tournevite

Venez, c’est par ici.

Et il ouvre une grande armoire métallique qu’il a dans son bureau.

C’est ici.

M. Laval

Quoi ?

M. Tournevite

Eh oui. Il faut vous insérer M. Laval. On en avait pourtant parlé !

M. Laval est un peu affolé mais essaye tout de même de réfléchir, de comprendre.

M. Tournevite

Je vous le répète, cela n’est point douloureux.

M. Laval

 Mais…

M. Tournevite

Allez-y, je vous en prie !

M. Laval fronçant les sourcils, énervé, agité, proteste

Mais non, je ne veux pas !

M. Tournevite

Vous m’y forcez M. Laval !

Il prend M. Laval par les épaules et le « lance-jette » dans la grande grande armoire métallique.

M. Laval

Aaaaaaahhhhh !

M. Tournevite ferme l’armoire à clef. Se retourne et soupire de soulagement, avec toutefois un soupçon de regret.

Il se rassied à son bureau et pose la clef. Puis, pensif , il dit

Et en voilà un de moins.

Texte écrit en 2012

Voyager c’est bien

J’aime voyager. Je voyage souvent. Les voyages sont formateurs. Ils te font découvrir plein de choses. Et puis ça permet de « s’évader » comme on dit. C’est bon pour le moral, c’est bon pour la santé (et pour l’économie. C’est une preuve de réussite sociale aussi peut-être…).

Les voyages c’est bien. Ça te permet de découvrir plein d’autres cultures que la tienne, peut-être d’autres langues. C’est bien de découvrir plein d’autres cultures. Il ne faut pas être « fermé », c’est mal de ne pas être « ouvert ». Tous les gens même bizarres valent la peine qu’on s’intéresse à leur culture. Faut pas faire de la discrimination (surtout pas raciale!).

Si tu es ouvert tu es bien vu par tes semblables, qui sont bien vus par toi si ils sont ouverts. Être « ouvert » pour être bien vu (ça c’est de l’ouverture vers les autres !).

C’est à la mode d’être « ouvert » maintenant, ou disons plutôt que c’est une des attitudes recommandées du moment.

J’aime voyager.

Voyager me fait du bien et fait du bien à mon entourage. Même au travail ils me le disent : « Voyage, ça te fera du bien de prendre une bouffée d’air et de te changer les idées ! », « C’est bon pour tout un chacun de voyager ! », « C’est normal d’avoir besoin de décrocher de temps en temps. », « Si tu sais te reposer quand il le faut, tu travailleras mieux après. »

J’aime voyager. Ça me permet de m’aérer et de me changer les idées comme ils disent…

Pourtant ces voyages ont tous comme un goût amer, toujours par derrière, comme si la bouffée d’air sentait l’air de la cage qu’on vient de quitter. Et puis aussi il y a la perspective du retour du voyage. Le retour après le voyage, plus dur, plus difficile car il faudra s’y remettre – il faudra toujours s’y remettre – et oublier la bouffée d’air, la mettre de côté, jusqu’à la prochaine fois.

On dirait de l’air comprimé. Je suis comprimé. Ma vie est comprimée. Je ne peux jamais vraiment me détendre.

En voyage je suis dans une bouffée d’air conditionnelle, ou même pire « à durée déterminée », car même si tout se passe bien, je reviens à la cage, je dois revenir à la cage. Depuis que je suis tout petit je ne fais jamais ce dont j’ai besoin, je ne sais pas ce que c’est que la liberté. Je crois que je ne le saurai jamais. J’ai les ailes coupées. Je reviens toujours à la cage. Quand je pars j’emmène la cage avec moi. Peut-être parce qu’ainsi je me sens plus en sécurité car je ne connais que cela. Ce que l’on connaît nous rassure, même ce qui nous fait souffrir. De toute façon la cage est dans ma tête, dans mon corps, et mon cœur ne s’y retrouve plus. La cage m’envahit, elle m’a envahi depuis longtemps. Je ne désire même plus être libre. Ma petite liberté à moi est la sécurité de cette cage. J’aime ma cage, elle me rassure, je suis devenu elle et préfère la croire être moi. Si je la quitte je quitte la seule identité que je me connaisse, ou peut-être me reconnaisse.

Je l’aime cette cage. Ne me l’enlevez pas. J’ai appris à vivre avec elle.

Je suis bien. Je suis bien, là. Je suis bien, mal. Mal, je suis bien. Mieux, je serais moins bien, ce serait pire.

Laissez-moi.

(parlé doucement) :

Au fond de mon obscurité je sais que vous avez raison, je sais pourquoi vous venez, je sais que c’est cela et rien d’autre que je cherche depuis toujours. Je le sais mais j’ai peur. Cette part de moi qui est encore en vie, qui est encore vivante, je veux l’oublier, l’enfouir. Ne plus la voir, ne plus la sentir. Elle me fait souffrir comme rien ne me fait souffrir.

Je ne veux même pas avoir l’espoir, ne serait-ce qu’un instant, de pouvoir goûter à nouveau à ma liberté originelle. Et vous m’en rappelez le goût. Le goût que je veux oublier.

Partez.

Je ne veux jamais vous revoir.

Je passerai ma vie à le regretter au fond de moi et à vous attendre à nouveau. Mais cela, je ne le dirai jamais à personne. Je ne veux même pas le savoir moi-même. Je veux faire comme si je pouvais ne pas le savoir, et j’y arriverai très bien, j’en suis sûr. Je saurai très bien l’enfouir, l’étouffer, faire comme si j’avais oublié ou comme si je ne savais pas. Comme si je n’avais jamais su…

J’aime voyager. J’aime la vie.

Je suis quelqu’un de normal.

 

 

 

 

Texte écrit en 2010

Viens avec moi en enfer

Viens avec moi en Enfer,

brûlons ensemble de tous ses feux

et ne laissons rien au hasard mais tout à la chance.

Peuplons l’Enfer de magnifiques fleurs énigmatiques et singulières, belles et lumineuses dans leur obscurité.

Arrachons les mauvais doutes. Doutons simplement; et éclatons les fausses gentillesses.

Nous ne voulons qu’être et non sous-être.

Resplendissons sans détours et sans tromper; avouons sans rien dire et laissons apparaître ce que l’on retient malheureusement pour soi.

Créons notre monde,

                                en Enfer

                                         là où il est.

Arrêtons de nier l’humain qui est en nous. Soyons-le. Sans être ni juste ni injuste.

Là où nous sommes la justice n’existe pas.

Quand ils nous auront vus, toi et moi, magistralement installés en Enfer,

tous voudront venir ici et l’appelleront

Paradis.

Texte écrit en 2010